Mariel Mazzocco, démythifier la spiritualité
C’est en Italie que grandit Mariel Mazzocco, dans une famille française «ouverte d’esprit, intellectuellement stimulante, où j’ai pu m’épanouir». Son attrait pour la philosophie et les sciences des religions la conduit dans de prestigieux lieux de recherche, dont le Collège de France, où elle construit un parcours interdisciplinaire, à la croisée de ces disciplines ainsi que de l’histoire et de la littérature. Elle se spécialise notamment dans la mystique chrétienne du XVIIe siècle.
A Genève, depuis 2019, Mariel Mazzocco donne deux cours d’introduction à la spiritualité. «Les questionnements spirituels m’ont toujours habitée, et j’ai toujours eu un grand intérêt pour ce qui relève du religieux et de la théologie. Je n’ai jamais estimé que la raison s’oppose à la foi. Tout ce qui relève de la transcendance s’inscrit aussi dans une réflexion philosophique. Mais notre société craint surtout l’imposition de la transcendance comme un dogme.» Paradoxalement, note-t-elle, «la spiritualité attire un nombre croissant de personnes, contrairement à la religion. Les Eglises sont appelées à relever ce défi.»
C’est d’ailleurs pour répondre à cette quête de sens qu’elle a lancé un cycle de conférences avec des invités de différentes traditions religieuses en plus de ses enseignements. Ouverts au public, ses cours attirent aussi bien des retraités que de jeunes étudiant·e·s. Depuis l’essor des cours en ligne, l’audience dépasse les frontières de la Suisse.
Dans ses interventions, Mariel Mazzocco s’attache à dissiper «le flou» qui entoure la spiritualité. «Il y a beaucoup de confusion entre spirituel, religieux et repli identitaire.» Patiemment, par une approche intellectuelle, mais laissant une vraie place à la discussion, la chercheuse déconstruit les stéréotypes. Sur la méditation par exemple. «Qui exerce un grand attrait, surtout dans sa tradition orientale. Pourtant, la méditation existe depuis toujours dans le christianisme, notamment chez les Pères du désert!» Pas question pour autant de fusionner les cultures. «Mon but, c’est de faire redécouvrir les sources de la spiritualité, notamment chrétiennes, les réactualiser pour entrer en dialogue avec d’autres traditions. Il existe des interconnexions et des interdépendances.»
Parmi le «trésor» spirituel qu’elle invite à retrouver, la chercheuse réserve une place de choix aux femmes spirituelles du XXe siècle, au centre d’un cours dédié. Ici aussi, les stéréotypes sont démontés. «Souvent, on a sublimé ces figures comme Etty Hillesum (1914- 1943), Edith Stein (1892-1942), Madeleine Delbrêl (1904-1964), Dorothy Day (1897- 1980)… Alors qu’elles vivaient dans leur temps. Il faut déconstruire les figures mythiques pour restituer leur parole, saisir de quelle manière elles peuvent nous interpeller aujourd’hui.»
La spiritualité, justement, comment la définir? La clé, Mariel Mazzocco la détaille dans son dernier ouvrage (voir encadré): «c’est la simplicité. Etre spirituel·le, ce n’est pas s’isoler de tout, mais faire unité avec la multiplicité, ouvrir des chemins de liberté intérieure pour mieux appréhender le monde. On pense que cette démarche appartient aux religions, mais elle peut être également laïque. Il n’existe aucune méthode ou recette prête à l’emploi pour y parvenir, chacun peut trouver ce chemin en soi.» Un travail intérieur qui demande «le courage de se remettre en question», beaucoup plus éprouvant qu’une simple pratique de bien-être. «Souvent, la spiritualité est comprise comme un outil d’apaisement pour faire face aux épreuves de la vie. Si elle peut apporter cela, tant mieux. Mais le but ultime de toute tradition spirituelle est la transformation intérieure, articulée à une vie sociale», cadre la chercheuse. «D’ailleurs, beaucoup de figures spirituelles étaient très actives socialement, ouvertes au dialogue avec les autres, y compris ceux qui ne partageaient pas leurs idées. Cette ouverture à l’altérité peut aussi susciter une transformation intérieure, s’avérer un moteur de changement dans la société, ouvrir des chemins de sens et de signification du monde.» Par exemple? Outre les mystiques citées plus haut, Mariel Mazzocco pense à Hélène Monastier (1882-1976), «figure vaudoise d’origine réformée», institutrice, pacifiste engagée qui a notamment collaboré à la création du Service civil international et qui est «tombée dans l’oubli». Encore un trésor à redécouvrir!
Bio express
2007 Doctorat en sciences religieuses, Ecole pratique des hautes études, Paris.
2010-2014 Postdoctorat au Collège de France, Paris.
2015-2021 Collaboratrice scientifique au sein de l’Institut romand de systématique et d’éthique (Faculté de théologie, UNIGE).
2016-2019 Recherche dans le cadre du Fonds national suisse sur Mme Guyon et la mystique du XVIIe siècle.
Depuis 2019 Responsable des enseignements et de la recherche en spiritualité à la Faculté de théologie, UNIGE.
A paraître
Dans son dernier ouvrage à paraître en septembre, Mariel Mazzocco reprend les thématiques principales traitées dans son cours d’introduction à la spiritualité: simplicité, méditation, silence, prière, discernement. Elle détaille notamment en quoi la simplicité est la clé de la spiritualité chrétienne. Avec en sus une réflexion sur l’empathie, rendue très actuelle par la crise sanitaire.
Eloge de la simplicité, Mariel Mazzocco, Bayard/Labor et Fides, 2021, 224 p.