Roland J. Campiche: « En Suisse, un changement prend trente ans»
«Contrairement aux apparences, les échanges entre politique et protestantisme au niveau fédéral ne furent jamais aussi intenses que durant les quarante dernières années du siècle passé», prévient Roland J. Campiche, professeur honoraire en sociologie de la religion de l’Université de Lausanne, lorsqu’il contacte la rédaction pour annoncer le décès de Hans Ruh.
Recontacté, il précise: «Je pense qu’il serait grand temps de faire un travail d’historien sur ces décennies et en particulier l’histoire ecclésiale des années 1960 à 2000. Ce sont des années difficiles à analyser, on a l’impression que c’est la période de la sécularisation, que la religion ‹fout le camp›. Si la perte d’influence de la perspective chrétienne est évidente, cela ne veut pas dire que les gens ne croient plus!», insiste le chercheur. «On a tendance à lire ces années avec le prisme de mai 68, à Paris, mais ce n’est pas là que commence la révolution culturelle! Elle se fait d’abord au début des années 1960 aux Etats-Unis avec la lutte pour les droits civiques.»
Et c’est justement dans cette perspective que s’inscrit Hans Ruh. «Il est né en 1933 dans le petit village schaffhousois d’Altdorf, sur la frontière allemande, il a ainsi assisté à la guerre de 39 - 45 de très très près. Et cette expérience lui a donné une impulsion pour sa vie entière! Il a ainsi consacré une large partie de sa réflexion d’éthique sociale à la recherche de la paix», explique Roland Campiche. «Hans Ruh a aussi été marqué par le théologien Karl Barth et a gardé de ce dernier cette citation: ‹L’Eglise n’est pas là pour elle-même, mais pour le monde.›» Hans Ruh a d’ailleurs été le dernier doctorant du Bâlois, avant de poursuivre sa carrière aux universités de Berne et Zurich.
C’est donc avec ce bagage qu’Hans Ruh a persuadé le Conseil de la fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), devenue depuis Eglise évangélique réformée de Suisse (EERS), de fonder à Berne et à Lausanne en 1971 un Institut d’éthique sociale, branche de l’éthique qui prend comme objet d’étude non pas l’individu, mais la vie en société. «Hans Ruh, Hans-Balz Peter et moi en avons été les cofondateurs. Et nous avons eu pendant les trente ans d’existence de l’institut des contacts réguliers avec les autorités. Quand les Eglises ont un discours guimauve appelant simplement à l’amour du prochain, elles ne sont pas entendues. Mais quand elles arrivent avec des compétences, un discours étayé, elles sont prises au sérieux», analyse Roland Campiche qui précise: «C’était une période où les échanges étaient courants, même s’ils n’amenaient pas forcément à un consensus.»
«Nous menions une réflexion fondamentale, influencée par le sociologue américain Charles Y. Glock. Il a montré que les normes, telles que les lois ou les coutumes, ne sortent pas de nulle part, mais qu’il y a des interactions entre croyances, valeurs et normes. En travaillant sur ces influences réciproques, nous paraissions crédibles face aux autorités.»
Des recherches qui ont en particulier fait naître une conviction: «les changements prennent du temps. En Suisse, il faut 30 ans. C’est pour cela qu’il faut faire ce travail d’histoire», note Roland Campiche. «Par exemple, je pense que l’on comprend mal les institutions écclésiales actuelles si l’on ne s’intéresse pas à l’histoire du XIXe siècle. Par exemple, la place des laïcs dans l’Eglise doit autant aux radicaux du XIXe siècle qu’à la Réforme!»
Hommage
Sur www.evref.ch, l’EERS rend hommage à Hans Ruh. «L’Institut d’éthique sociale s’est mué en véhicule permettant aux Eglises protestantes d’influencer les processus de prise de décision au sein des ‹communautés de citoyens›. Hans Ruh en était à la fois l’ingénieur et l’habile conducteur, n’hésitant pas à effectuer de dangereux dépassements, voire à provoquer d’utiles collisions.»