Soutien aux Afghans d’Europe
Seule à une table du local de Point d’Appui, en ce froid lundi soir de novembre, Safa* est venue avec une liasse de documents et son téléphone portable, qu’elle manie de ses grandes mains nerveuses. Cette jeune maman de plusieurs enfants espère formuler une demande de visa humanitaire pour ses parents et sa fratrie, menacée par les talibans.
Violences
Le plus immédiatement en danger est un jeune frère, pour lequel elle a déjà déposé tout un dossier. Qui est-il? Lorsqu’on lui demande une photo, c’est un cliché violent qui surgit de son écran: un cou, barré d’une grande boursouflure. «Il a déjà été attaqué par les talibans», soufflet-elle, avant de dévoiler d’autres images de meurtrissures: avant-bras, jambe… Sur un cliché datant «d’avant» l’arrivée des talibans, on distingue un jeune homme souriant, l’air presque timide, en tenue de sport. Le frère de Safa n’est pas un opposant, mais exerce une profession intellectuelle. C’est donc un esprit critique**. «Il est caché chez un ami depuis deux mois, il a perdu beaucoup de poids, ne sort plus, il est très stressé, déprimé, il a peur d’être tué s’il se déplace…» La voix de Safa, elle aussi, témoigne d’une déprime profonde.
Mais après une séance d’information introductive, la jeune femme se ressaisit. Elle peut enfin rencontrer une juriste. Munie de sa série de photocopies de documents en farsi, accompagnée par une traductrice bénévole, Safa s’apprête à constituer le fameux dossier pour ses parents et autres frères et sœurs, interdits de travailler. Seul son père de 70 ans peut subvenir aux besoins de toute la famille: les vivres manquent, l’étau se resserre.
Il est tard, la pièce est sombre, l’écran de l’ordinateur minuscule et la tâche ardue pour les bénévoles de l’EPER: elles font de leur mieux pour lister, identifier, classer les documents nécessaires. Il faut justifier l’identité de chaque personne menacée, prouver sa profession, son parcours, dater chaque incident ou menace. Toutes les pièces sont utiles (messages Facebook, vidéos envoyées sur WhatsApp, etc.) mais doivent être traduites. Et surtout, il faut rédiger une demande formelle expliquant en quoi ces personnes sont menacées de mort.
Résultats incertains
Un travail titanesque et «douloureux», explique Marie, une bénévole. «Pour eux, parce qu’ils sont obligés de revenir en détail sur les atrocités déjà subies et les risques qui pèsent sur leurs proches. Et pour nous, qui entendons ces histoires les unes après les autres.»
L’issue? Plus qu’incertaine. Pour l’heure, les demandes de visa humanitaire pour des Afghans en Suisse sont acceptées au compte-gouttes. «On leur donne énormément d’espoir. Alors qu’absolument rien n’est sûr», soupire une bénévole.
Alors pourquoi ces démarches ardues? «D’abord, il s’agit d’un droit. Et si aucune demande n’est formulée auprès du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), ce dernier pourrait arguer qu’il n’y a pas de besoin, et la situation n’aurait pas de raison d’évoluer», remarque Elise Shubs, responsable missions stratégiques et transversales auprès de l’EPER. De plus, note l’ONG, «les décisions négatives sont susceptibles de recours et il est important d’avoir également un accès aux tribunaux, pas seulement à l’administration. Il est alors possible de sensibiliser l’opinion publique sur ces décisions négatives». Dans le canton de Vaud, l’EPER a pu, depuis août, constituer une quinzaine de demandes de visas humanitaires, solides et motivées. Une forte mobilisation civile et politique devra les accompagner. Car pour l’heure, toutes les démarches reposent sur des gens comme Safa. Qui a conscience d’être le seul espoir de survie de sa famille et n’en dort plus la nuit.
Pour en savoir plus
Le Service d'aide juridique aux exilé.e.s (SAJE) de l'EPER (Entraide protestante suisse).