Avant et après la guerre
Né juste après la guerre, j’en suis un enfant et j’ai grandi dans une famille qui a été marquée par elle. J’ai plongé dans son histoire et dans la théologie qui voulait l’affronter, les exterminations, les camps, Die Endlösung, la Shoah. Psaume 44, Esaïe, Job, Buber, Jonas, Wiesel. «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? C’était un juif qui l’a prié, sur la croix. Devant le mystère de ce Dieu qui se cache face à la catastrophe, finalement, n’est-ce pas le silence qui s’impose? Et si l’on ose toujours une théologie chrétienne, est-ce la même avant et après la guerre? L’Evangile, l’historique (Marc), s’achève avec la croix. La résurrection, l’Évangile de la foi, est pour demain. Voilà, le Sitz im Leben, le contexte dans lequel je me suis retrouvé. Jusqu’à ce 24 février.
Une nouvelle guerre en Europe. Et, le même jour, la sollicitation de Réformés de «décrypter une actualité» avec les outils de la théologie. Y a-t-il un sujet autre que la guerre qui mériterait réflexion aujourd’hui? Nous nous retrouvons devant les questionnements de nos grands-parents, face à une guerre déclarée et un avenir incertain. Tout est possible. Tout? La bombe atomique? Croix sans résurrection? Les premiers enfants de Job, innocents, sont morts, définitivement. Et des millions d’innocents avec eux.
Qui es-tu, Seigneur, Dieu de la vie? Toujours le même, avant et après? Les victimes, Seigneur, tu ne peux pas les blâmer, il n’y a pas de péché qui mériterait leur sort. La création, ta création est bonne, d’accord, mais la liberté d’avoir goûté le fruit de la connaissance du bien et du mal y est incluse. Le péché originel, c’est vivre, tout simplement. C’est ça, la nouveauté. Et le miracle, c’est vivre, tout simplement. C’est la liberté humaine, c’est la condition humaine, celle que tu as partagée avec nous en ce Jésus de Nazareth, fils de l’homme, membre de ton peuple. Non, notre théologie n’est plus la même, avant et après, notre prière et notre culte, et toi, notre Dieu, non plus. La théologie est prière désormais, cri des innocents. Et si Pâques il y avait, cette année, nous ne serons plus les mêmes, après la guerre. Serait-ce résurrection ? Le simple fait que nous serons encore en vie? Et que nous aurons entendu le cri des innocents?
Projet de vie? Dieu meurt avec nous. C’est ça, la nouveauté. La théologie ne peut plus le renier. Cependant, la vie, le Dieu de la vie, n’était pas, n’est pas et ne sera jamais mort∙e. «Je suis la vie et la résurrection.» Qu’en est-il de cette graine qui doit mourir pour vivre et porter du fruit? Elle meurt pour vivre, mais elle n’est pas morte. C’est la graine du pain quotidien.
Armin Kressmann est pasteur réformé vaudois retraité, ou plutôt «pasteur itinérant», puisqu’il assume régulièrement des remplacements. Il est également biologiste, éthicien, philosophe et parfois clown et s’exprime aussi au travers de la peinture.