Nos résurrections intimes
Résurrections. Un titre qui résonne comme un chant d’espérance au cœur de nos nuits.
Car à en croire le philosophe français Denis Moreau, le Christ n’aurait pas le monopole de la résurrection. Dans son ouvrage paru juste avant Pâques, il l’affirme: il n’est pas nécessaire de mourir pour être ressuscité au cœur de ses enfers. Un message de vie, plus que de survie, qu’il tire du sens même de cette fête chrétienne pour encourager ceux qui n’en peuvent plus. Explications.
Avec la pandémie de Covid-19, à présent la guerre en Ukraine, la mort s’est brutalement rappelée à nos existences. Qu’apporte le message de Pâques face à ces tragédies?
En effet, le spectre de la mort nous a rattrapés dans notre quotidien. Mais ce n’est jamais qu’une piqûre de rappel: la mort, on n’y échappe pas. Nous avions relégué au fin fond de notre conscience cette vérité première: la fin inéluctable de nos vies et de celles de ceux que nous aimons. Nous préférons le plus souvent ne pas y penser, car la mort nous pourrit littéralement la vie. Pâques nous annonce une bonne nouvelle: la victoire des forces de la vie sur la mort. Christ ressuscité, la mort est vaincue.
Encore faut-il y croire…
Là est toute la différence entre les athées et les croyants, en effet. Pour les athées, comme l’écrivait Sartre, la mort c’est le «mur» sur lequel on va s’écraser. Pour les chrétiens, la mort est un passage, une ouverture. Dans la Bible, il est écrit que Dieu a relevé le Christ d’entre les morts. On est libre d’y croire ou non. La foi n’est pas une certitude, mais toujours un pari que l’on choisit d’opérer.
En quoi croire en la résurrection peut-il avoir un impact sur le présent?
Croire en la résurrection de Jésus-Christ, c’est être animé d’une force de résurrection pour notre vie actuelle. Pour moi, Jésus-Christ n’est pas seulement ressuscité, mais ressuscitant. Sa victoire sur la mort constitue également un message d’espérance dans toutes les petites morts que nous pouvons connaître dans nos vies. Dans les Évangiles, on traduit en français par le terme «ressusciter» deux verbes grecs différents: anistanai, qui signifie «relever» et egeirein, «réveiller». Ainsi, la résurrection nous apporte l’espoir d’un relèvement lorsque nous sommes tombés, à terre, et celui d’un réveil lorsque nous nous sommes engourdis, atones.
De quel ordre peuvent être ces résurrections, et comment surviennent-elles?
Deuil, dépression, rupture amoureuse ou encore chute morale: aucune de ces souffrances n’est destinée à avoir le dernier mot sur nos existences. Mais ces résurrections personnelles ne surviennent qu’avec le temps. Il faut du temps pour ressusciter. Le Vendredi-Saint, lorsque Jésus est mis sur la croix, tout le monde a dû se dire que c’était foutu, les disciples se sentir dans une situation d’échec absolu. Or le récit de la résurrection du Christ nous apprend qu’une issue peut se dessiner, là même où on pensait qu’il n’y avait plus aucun espoir. Le message de Pâques nous dit: rien n’est jamais foutu. Et ce n’est pas rien d’être animé par cette confiance.
On se relèverait donc plus facilement lorsque l’on croit?
Ce n’est pas plus facile pour un chrétien que pour un athée. Ce n’est pas automatique, ce n’est pas miraculeux, mais cette espérance fait que la temporalité, le tempo du chrétien ne sont pas exactement les mêmes. On devrait davantage réfléchir sur le samedi saint: il a fallu du temps pour passer de la crucifixion à la résurrection. La tradition nous dit que pendant ce temps-là, Jésus est descendu au shéol, soit ce lieu indécis où séjournent les âmes des morts. Cet espace-temps figure aussi nos enfers existentiels, dans lesquels la vie nous enferme parfois – ou peut-être où nous nous enfermons nous-mêmes. Et Jésus ne ressuscite pas sur-le-champ, il y a cet intervalle entre le drame du vendredi et la gloire du dimanche: la théologie du samedi saint, c’est parier sur l’efficacité d’une reconstruction qui s’opère petit à petit, avec patience.
En quoi cette notion de résurrection se différencie-t-elle de celle de résilience?
Au départ, la résilience est une notion de physique des matériaux, soit la propriété d’un métal de pouvoir reprendre sa forme après avoir subi une torsion. Ce concept a été exporté dans les années 1970 dans le domaine de la psychologie et a été popularisé en France par Boris Cyrulnik dans les années 1990. D’une certaine façon, la résilience c’est la capacité d’une personne à revenir à un état supportable après avoir subi un fort traumatisme. La résilience vise une restauration, un retour à l’état initial: c’est déjà bien! Mais dans la résurrection, il y a plus: il n’est pas question uniquement de survie, mais de «sur-vie». En ressuscitant, le Christ n’est pas seulement revenu à la vie ordinaire, il a accédé à une dimension supérieure de l’existence. De même, on peut ressortir transformé par la traversée d’un moment très difficile.
«On ne ressuscite pas, on est ressuscité», spécifiez-vous. Comment comprendre cette précision?
Jésus ne se relève pas tout seul d’entre les morts: Dieu le ressuscite. De même, on ne ressuscite pas par ses propres forces. Là est l’illusion fondamentale de notre modernité: «Sauve-toi, toi-même!» C’est d’ailleurs aussi un des défis lancés à Jésus en croix: s’en sortir tout seul. Il n’a cependant pas cédé à la provocation. Or c’est aussi ce que dit la vague du développement personnel (self help, en anglais). Le christianisme me paraît beaucoup plus sage: ce n’est pas «sauve-toi toi-même», mais «sauve-moi, je péris». Il y a de la sagesse à demander de l’aide quand on a le sentiment que sa vie dysfonctionne. L’aide de Dieu, l’aide des autres, l’aide de Dieu se déployant par le truchement de l’aide des autres. Quand on est pris par une dépression, la sagesse c’est de savoir aller voir un psy, prendre des médicaments, etc.
La foi seule ne saurait donc suffire?
La nature et la grâce sont, je crois, très étroitement mêlées et je ne suis pas très friand de miracles. J’ai plutôt l’impression que la grâce agit de façon silencieuse et discrète. J’aime bien le thème des miracles cachés que l’on retrouve chez certains auteurs spirituels du XVIIe siècle, cette idée que Dieu fait des choses miraculeuses mais dont on ne se rend pas forcément compte. J’aime mieux cette image d’un Dieu discret dont la grâce se déploie souvent par des canaux très naturels: un médecin, un ami, un conseiller conjugal…
Ne serait-ce pas là matière à donner raison à ceux qui, à l’instar de Nietzsche, considèrent que le christianisme est «la religion des faibles»?
Je crois qu’il y a dans la vie une forme de sagesse à se reconnaître faible. Personnellement, je ne suis pas un super-héros, j’ai mes fragilités et je pense que je vis mieux en sachant les reconnaître. Et lorsque j’ai mal je prends des antalgiques, je n’en ai pas honte. Je ne vais pas rester à me dire: «Ah oui, c’est faible de prendre des médicaments, continue à avoir mal!» De même, quand je suis triste, je ne vais pas me complaire dans ma tristesse, mais chercher la consolation. La vie est dure, j’assume donc pleinement ce rôle thérapeutique de ma foi chrétienne.
Pour aller plus loin
Résurrections. Traverser les nuits de nos vies.
De Denis Moreau, Ed. du Seuil, 304 p.
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