COE: Le président allemand met la pression sur les délégués russes
«Les dirigeants de l’Église orthodoxe russe s’engagent actuellement dans une mauvaise voie, pouvant être perçue comme contraire à la foi. Aucun chrétien ne peut reconnaître la volonté de Dieu dans le conflit russo-ukrainien», a déclaré le président allemand Frank-Walter Steinmeier à l’occasion de l’inauguration de l’Assemblée du Conseil œcuménique des Églises (COE), mercredi 31 août. Chaleureusement invité à la tribune par la Kényane Agnes Abuom, présidente du Comité central du COE, le social-démocrate, élu à la présidence de la République fédérale d’Allemagne en 2017, a très vite axé son discours sur l’agression russe subie par l’Ukraine. Le conflit fait d’ailleurs partie des thèmes prioritaires de la manifestation, considérée comme le plus grand rassemblement chrétien du monde, représentant 352 Églises et où plus de 4000 personnes sont attendues.
«Il ne peut y avoir de silence, ici à Karlsruhe, à ce sujet. En tant que communauté chrétienne, nous devons dénoncer cette situation et dire notre attachement à la liberté et à la sécurité des Ukrainiens», a poursuivi Frank-Walter Steinmeier, comme en écho au rapport du secrétaire général par intérim du COE Ioan Sauca, qui avait pris la parole juste avant le président allemand. Ce prêtre orthodoxe roumain, qui cédera prochainement sa place au Sud-Africain Jerry Pillay, est notamment revenu sur la décision prise par le COE de ne pas exclure l’Église orthodoxe russe, et ce malgré les pressions de plusieurs Églises occidentales, dont l’Église évangélique réforme de Suisse (EERS). «Le Comité central du COE a condamné la guerre et tout détournement de l’autorité et du vocabulaire religieux pour justifier une agression armée», a-t-il formulé. «Si la proposition d’exclusion n’avait pas été rejetée, nous aurions failli à notre mission d’être un lieu de dialogue», s’est-il encore expliqué.
«Totalitarisme déguisé en théologie»
«Le COE n’a jamais exclu aucune Église. Y compris l’Église réformée hollandaise d’Afrique du Sud lorsque celle-ci soutenait et défendait théologiquement l’apartheid», a également rappelé Ioan Sauca (le COE avait cependant opéré de très fortes pressions sur celle-ci, ndlr.) Le secrétaire général par intérim a alors mentionné son récent voyage en Ukraine, début août, avec une délégation d’un COE «mis sous les projecteurs des médias dès le début de la guerre». Et de se féliciter du résultat de cette visite, grâce à laquelle «onze Ukrainiens et Ukrainiennes représentant les grandes Églises et le Conseil national des Églises en Ukraine» sont présents à Karlsruhe.
«Mais alors, quel type de dialogue, ici, puisque c’est le choix de cette Assemblée?», a encore interpellé Frank-Walter Steinmeier. Rendant un vibrant hommage aux orthodoxes russes n’ayant pas soutenu la politique du Kremlin, au contraire du patriarche Kirill proche de Poutine, le président allemand a enfoncé le clou: «Nous attendons que ces voix-là soient entendues, ici à Karlsruhe. Car le totalitarisme déguisé en théologie a déjà tué trop de personnes et détruit de trop d’édifices religieux en Ukraine».
Steinmeier, anciennement pro-russe
Malgré ce positionnement contre l’agression russe en Ukraine, maintenu par Frank-Walter Steinmeier depuis le début du conflit, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait rejeté, en avril dernier, sa demande de visite à Kiev. En cause, son fervent soutien au projet du gazoduc Nord Stream 2, qui relie l’Allemagne à la Russie via la mer Baltique, alors que celui était ministre des Affaires étrangères sous Angela Merkel. Une souscription qui lui avait valu d’être considéré comme «Putin-Versteher» (ceux qui comprennent Poutine).
Plus récemment, le social-démocrate, anciennement pro-russe, avait suscité l’ire des Ukrainiens à cause d’une malheureuse référence historique. Lors d’une interview accordée au Rheinische Post en février 2021, il avait en effet justifié le maintien de cette relation commerciale avec la Russie, en raison des «plus de 20 millions de personnes de l’Union soviétique de l’époque qui avaient été tuées par l’Allemagne nazie». S’il précisait que cela n’autorisait pour autant «aucun écart de conduite» de la Russie en matière de relations internationales, il arguait que les relations énergétiques étaient presque le dernier pont entre Moscou et l’Europe.
Andrij Melnyk, ambassadeur d’Ukraine en Allemagne, avait alors rappelé que ce bilan ne comptabilisait pas uniquement des victimes russes, mais comprenait également des Ukrainiens, qui faisaient également partie de l’Union soviétique à l’époque, et de fait qu’il fallait aussi tenir compte de leur opposition face à la mise en place de ce gazoduc.
Réaction de l’Église orthodoxe russe, froissée
«Je crois que la position de Frank-Walter Steinmeier est un exemple de pression grossière exercée par un représentant haut placé du pouvoir étatique sur la plus ancienne organisation interchrétienne», pouvait-on lire dans un brûlant communiqué, mercredi 31 août, suite au discours prononcé par le président allemand Frank-Walter Steinmeier, en ouverture de cette 11e Assemblée générale du Conseil œcuménique des Églises (COE) à Karlsruhe.
Publié sur le site du Département des relations ecclésiales extérieures de l’Église orthodoxe russe, le document contient la réaction pour le moins courroucée du président dudit département au sein du Patriarcat de Moscou, le métropolite Antoine de Volokolamsk. Ce dernier dirige la délégation de l'Église orthodoxe russe pour l’événement. «Le discours du président allemand contenait des accusations totalement infondées, ignorant totalement tous les efforts humanitaires déployés par le Patriarcat de Moscou dans le contexte de la confrontation en Ukraine, ainsi qu'une demande directe de condamnation de l'Église orthodoxe russe par l'Assemblée du COE», mentionne encore le métropolite. Et de conclure que l’intervention du président allemand représente, à ses yeux, «une ingérence dans les affaires internes du Conseil œcuménique des Églises, une tentative de remettre en cause la nature pacificatrice et politiquement neutre de son travail».