Les religions devraient-elles être obligatoires au gymnase?
Les branches philosophie et religion peuvent-elles décemment être reléguées au même rang que l’enseignement du sport ou du russe? À l’heure où le projet de révision de l’ordonnance sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale arrive au terme du processus de consultation publique, la question divise.
Initié par la Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) et le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), le projet «Évolution de la maturité gymnasiale» (EVMG) vise notamment à élargir le catalogue des disciplines fondamentales. Ainsi, la branche «économie et droit» et l'informatique accéderaient dès la rentrée 2024 à ce statut de disciplines obligatoires, tout comme le sont déjà la physique, la biologie, la chimie, la musique ou encore les arts visuels.
La proposition de classer la philosophie et les religions parmi les disciplines fondamentales a pourtant bel et bien été faite lors des discussions initiales quant à l’extension de ce catalogue. Elle a cependant été rejetée par une majorité de participants à la consultation interne, ces derniers «estimant que la charge supplémentaire imposée aux élèves, de même que les coûts, seraient excessifs», indique le rapport explicatif du 18 mai 2022.
«Ce point particulier a été longuement débattu», atteste Laurent Droz, co-responsable du projet EVMG. Également responsable de la filière Enseignement secondaire II à la HEP, il précise encore que «la résistance de certains cantons a fini par s’imposer».
Une possibilité jugée insuffisante
Dans le projet mis en consultation jusqu’au 30 septembre, «la proposition de faire des religions une discipline fondamentale a été partiellement reprise», détaille Samuel Zinniker, répondant du projet pour le département fédéral. Et d’expliquer: «Les Cantons pourront choisir de proposer cette matière en tant que discipline fondamentale supplémentaire, comme c’est le cas actuellement pour la philosophie.» Une amélioration par rapport à la situation actuelle qui ne suscite cependant guère d’enthousiasme auprès des spécialistes du fait religieux.
«Cette décision est désastreuse et pas du tout à la hauteur de ce qui se passe aujourd’hui dans nos sociétés», s’indigne le chercheur Pierre Gisel, auteur de Sortir le religieux de sa boîte noire (Ed. Labor et Fides, 2019). «Les religions ne sont pas qu’une croyance ou une non-croyance: c’est une réalité sociale forte. On le voit notamment avec la question de la radicalisation. Or la population générale est analphabète sur ces questions, et donc démunie face à ces enjeux.»
Les Églises historiques – qui ont largement contribué à la mise en place d’un enseignement du fait religieux, qui ne soit donc plus confessionnel – ont d’ailleurs décidé de faire part de leur insatisfaction. «Au vu de la société idéologique et religieuse plurielle et des défis qui en découlent, les Églises considèrent qu’il est extrêmement important de disposer d’une discipline fondamentale obligatoire consacrées aux religions», signent-elles dans une prise de position commune.
Responsabilité politique
«La foi est une affaire personnelle. La religion, ou plutôt les phénomènes religieux ne le sont pas», formule Ruth Pfister, membre du Conseil de l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS). «La religion est un phénomène sociétal qui influence le champ politique encore aujourd’hui», signifie pour sa part Daniel Kosch, président de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ). «Il est primordial que les jeunes personnes reçoivent une information sérieuse sur ces question, quand on sait combien elles sont susceptibles d’être approchées par des idéologies violentes.»
Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des Églises réformées romandes (CER), était le répondant de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) lors de la mise en place en 2013 du cours d’éthique et cultures religieuses. «Plus que jamais, nous avons tous avantage à former tout un chacun aux questions religieuses», énonce-t-il également. «On ne peut pas passer à côté de ça dans la formation des esprits: c’est un impératif du vivre-ensemble. Si les Églises ont souvent offert leur expertise en la matière comme un service public, l’État devrait aussi prendre ses responsabilités.»
«Avec ce projet, la responsabilité serait à nouveau confiée aux Cantons, et nous nous retrouverons encore et toujours dans une situation de patchwork à l’échelon suisse», dénonce également Ruth Pfister. «Dans les cantons où la séparation entre l’Église et l’État est la plus stricte, cette discipline pourrait alors continuer à ne pas faire du tout partie du cursus.» Une préoccupation que partage pleinement Pierre Gisel: «Comme le religieux est un sujet potentiellement conflictuel, je crains que les Cantons ne jouent la carte de la prudence en évinçant le sujet.» Une option qui se révèlerait, selon ce spécialiste, totalement contre-productive.
La nouvelle ordonnance devrait entrer en vigueur à la rentrée 2024.