«Nous travaillons selon un modèle qui ne fonctionne que par beau temps»

Les Églises n'offrent pas des conditions de travail structurelles idéales / IStock
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Les Églises n'offrent pas des conditions de travail structurelles idéales
IStock

«Nous travaillons selon un modèle qui ne fonctionne que par beau temps»

Vanessa Buff, ref.ch
3 octobre 2022
Des autorités peu professionnelles, des structures compliquées et des attentes qui ne sont pas clairement communiquées… Ceux qui travaillent pour les Églises doivent souvent faire face à des conditions cadres difficiles.

Daniel* décrit l'année dernière comme l'une des plus dures de sa vie. Dans la paroisse où il travaille comme pasteur, un conflit a dégénéré. Les démissions se sont succédé et l'ambiance s'est visiblement dégradée. «Le climat de travail était toxique. Certains de ceux qui sont partis ont ensuite eu besoin d'un soutien psychologique», raconte-t-il, sous couvert d’anonymat.

Cela fait quinze ans que Daniel est pasteur. À l’entendre parler de son travail, de la diversité de ses tâches et du contact avec les gens, on dirait qu'il a trouvé sa vocation. Être pasteur est un bonheur, dit-il. Mais le conflit dans sa paroisse a laissé des cicatrices profondes et a changé son regard sur le milieu ecclésial: «Je ne pensais pas que cela était possible, dans nos structures, que des personnes se comportent de manière aussi peu chrétienne.»

Daniel parle de mensonges, d'insultes et d'erreurs dans les processus de travail, telles que des décisions qui, selon lui, ont été prises dans des conditions inadmissibles. Les lignes de conflit se situaient entre d’une part le Conseil de paroisse et d’autre part es ministres ou encore l’Exécutif cantonal (Conseil synodal). À cela s'ajoute le fait qu'une plainte des collaborateurs qui ont persévéré malgré un environnement de travail difficile est restée sans résultat. Une instance professionnelle aurait-elle surveillé les agissements du Conseil de paroisse de près? Aucunement.

Le problème des autorités laïques

Les conflits tels que celui vécu par Daniel sont fréquents dans les Églises réformées. Certains, comme celui de Fällanden dans le canton de Zurich, font la une des journaux loin à la ronde. D'autres peuvent être résolus avant même qu'ils ne dégénèrent, par exemple grâce à l'intervention du Conseil de paroisse ou du Conseil synodal. Le fait que chaque conflit naisse dans des circonstances spécifiques et que les structures ecclésiastiques diffèrent d'un canton à l'autre rend les comparaisons difficiles.

Pour Daniel, il est néanmoins clair que les causes sont souvent à chercher dans la structure même de l'Église. Il cite notamment le problème de la direction de la paroisse, qui est répartie entre les membres du Conseil et les pasteurs. Les premiers sont responsables des finances et du personnel, les seconds de la direction théologique.

Dans la pratique, cela peut signifier par exemple que le Conseil de paroisse propose de mettre fin à une série de manifestations sur le thème de l'égalité des droits pour des raisons de coûts. Le pasteur pourrait rétorquer qu'il est important, dans une perspective pastorale, d'éduquer et d'encourager les gens sur ces questions. « Si vous êtes en bons termes les uns avec les autres, vous trouverez une solution dans la discussion que tout le monde pourra soutenir. Sinon, travailler sur cette base sera presque impossible », déclare Daniel. Et d’asséner: «C'est un modèle qui ne fonctionne que par beau temps.»

À cela s'ajoute le fait que les autorités sont composées de laïcs qui ne doivent pas avoir de qualifications particulières. Le pasteur parle d'une «loterie»: la part de chances est grande dans ces élections.. De plus, une fois en place, le Conseil de paroisse n'est plus guère contrôlé. Et avant que le Conseil synodal n'intervienne, beaucoup de choses sont déjà cassées.«Aujourd'hui, je suis convaincu que l’autorité laïque est la plus grande pierre d'achoppement sur le chemin d'une structure ecclésiale moderne», formule-t-il.

Résistance face aux réformes

Sur le fond, cette analyse est partagée par Thomas Schaufelberger, directeur du département de développement de l'Église auprès de l'Église cantonale de Zurich, mais également de A+W, l’office de formation initiale et de perfectionnement des pasteurs de Suisse alémanique et du Tessin. «L'organisation des paroisses constitue un gros problème. Le système de gestion bénévole a besoin d'une réforme urgente», atteste-t-il.

Cependant, c'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire car l'Église réformée est étroitement liée au système politique. a loi électorale cantonale s'applique aux élections à l'église – et cela ne prescrit aucune condition préalable pour les fonctions électives.

«Tant que nous nous en tiendrons à la proximité de l'État, nous ne pourrons pas imposer la moindre condition aux membres des autorités laïques. Nous ne pouvons même pas les obliger à suivre une formation continue», précise Thomas Schaufelberger. Par ailleurs, l'autonomie des paroisses est perçu comme le bien le plus précieux des réformés et tout ce qui va dans le sens d'une centralisation suscite une résistance considérable.

Le passé récent donne raison à ce spécialiste: le processus de réforme "KirchgemeindePlus" de l'Église cantonale zurichoise, qui visait des fusions et un renforcement de la coopération entre les paroisses, a été accompagné d'importants rejets. C'est notamment pour cette raison que le président du Conseil de paroisse Michel Müller a même dû se soumettre à une élection de combat à l’été 2019.

Le Conseil synodal a renoncé à l'idée de supprimer les conseils paroissiaux d'arrondissement et de confier la surveillance des paroisses au Synode, suite aux critiques massives émises lors de la consultation. Ainsi, dans la plupart des cas, les Églises cantonales se contentent de sensibiliser aux questions de développement du personnel, de créer des services de médiation en cas de conflit et de proposer des formations facultatives aux membres des autorités.

Des coûts élevés

Pourtant, tant les Églises cantonales que les paroisses auraient en fait intérêt à réformer leurs structures. Lorsqu'un conflit éclate dans une paroisse, on fait souvent appel à des administrateurs externes qui gèrent les affaires pendant une période limitée. Cela coûte vite cher, comme le montre l'exemple zurichois. Selon Nicolas Mori, responsable de la communication auprès de l'Église cantonale, les frais d'administrateurs spécialisés liés à un conflit se sont élevés à environ 1,5 million de francs depuis 2012; environ la moitié de cette somme a été générée par le cas de Fällanden.

Dans de tels cas, 100% des coûts sont imputés aux paroisses conformément au principe du pollueur-payeur. En revanche, lorsque des administrateurs sont engagés en raison d'un manque de personnel, par exemple parce que trop de membres des autorités démissionnent en même temps dans une paroisse, l'Église cantonale prend en charge la facture.

Les Églises manquent de pasteurs

Mais les finances ne sont même pas le problème principal. Des structures peu claires et des conditions de travail difficiles dans les paroisses contribuent également à ce que les Églises manquent de personnel. Selon une évaluation de la relève en théologie, soutenue par les facultés de théologie et les organes ecclésiastiques pour la formation et la formation continue, 86 postes de pasteurs étaient déjà vacants en Suisse alémanique l'année dernière, contre 70 en 2020. Parallèlement, le nombre de pasteurs travaillant au-delà de l'âge de la retraite est passé de 49 à 86.

En résumé, les Églises ne parviennent plus à couvrir leurs besoins en personnel. Et il n'y a certainement aucune amélioration en vue alors que les baby-boomers s’apprêtent à prendre leur retraite. «Le manque de personnel devient criant. Beaucoup plus flagrant que ce que certaines directions d'Églises veulent bien admettre», estime Thomas Schaufelberger.

Pour lui, les raisons se trouvent d’une part dans le manque général de personnel qualifié et d’autre part dans le fait que l'image des Églises et des études de théologie en ont souffert. Cela a pour conséquence que de moins en moins de personnes se décident à embrasser une carrière pastorale. D'autre part, l’office de formation initiale et de perfectionnement des pasteurs de Suisse alémanique et du Tessin constate également qu'une proportion non négligeable de jeunes actifs se décident rapidement à quitter le ministère pastoral. Les enquêtes menées auprès de ces personnes montrent clairement qu'il s'agit ici de mauvaises conditions-cadres: «Peu de marge de manœuvre dans la manière dont les pasteures peuvent exercer leur ministère, trop de personnes qui ont leur mot à dire, des attentes non exprimées et parfois irréalisables, et peut-être même en plus une obligation de résidence – tout cela conduit à la frustration.»

Comment être encore une Église?

Des efforts sont actuellement déployés pour résoudre le problème. Ainsi, les étudiants sont encouragés dès leurs études à préciser leur profil et leurs compétences afin de pouvoir ensuite postuler dans des paroisses réellement adaptées. Dans le même temps, cependant, la prise de conscience que quelque chose doit changer n'est pas encore répandue, selon Thomas Schaufelberger. Il espère que la pénurie de pasteurs amènera de nombreuses personnes à abandonner leurs vieilles habitudes – et que le marché aura un effet régulateur. «Les Églises cantonales et les paroisses qui ne font pas un pas en avant dans ce domaine n'auront aucune chance dans la course aux bons candidats.»

Par ailleurs, Thomas Schaufelberger est convaincu qu'il faut aussi des idées pour vivre l'Église autrement – et avec moins de personnel. Interrogé sur des projets qui vont déjà dans ce sens, il nomme «Orbit» à Winterthur, un mélange d'espace de co-working et d'initiative de quartier avec une participation réformée. Ou le jardin du presbytère d'Illnau-Effretikon (ZH), qu'un diacre social a ouvert pour les réfugiés afghans et dans lequel une communauté a pu se développer. «La question que nous devons nous poser est la suivante: comment créer des structures qui rendent possibles des projets comme ceux-ci?»

C'est en effet la question primordiale. Et cela ramène à Daniel, au conflit de sa paroisse et à la conclusion qu'il en tire. «Je connais tellement de collègues qui quittent le pastorat. Ils disent qu’ils ne feront plus jamais ce métier.» Afin d'éviter cette lente hémorragie, les Église doivent créer des conditions de travail qui en soient «dignes», formule-t-il.

Le conflit dans sa propre paroisse s'est un peu atténué. Malgré tout ceci, Daniel n'a pas tourné le dos à son Église.