L’Église réformée veut former des secouristes en santé mentale
«Une personne sur deux souffrira d’un souci psychique au cours de sa vie, c’est énorme!» pose sans détour Bettina Beer, pasteure et collaboratrice de l’Église évangélique réformée de Suisse (EERS). Selon Roger Staub, le directeur de l’association Pro Mente Sana spécialisée dans les troubles psychiques, «chaque année en Suisse, plus d’un demi-million de personnes ont des pensées suicidaires».
«Il est plus que jamais nécessaire de sensibiliser la population aux maladies psychiques, qui restent encore largement tabouisées», poursuit Bettina Beer, à l’initiative du partenariat signé, en début d’année, entre la faîtière des Églises réformées de Suisse et Pro Mente Sana. L’idée? Proposer des cours de premiers secours en santé mentale, à l’image des cours dits de Samaritains, obligatoires pour le permis de conduire.
Le programme ensa, développé en Australie et importé en 2019 en Suisse par Pro Mente Sana, vise ainsi à donner à tout un chacun des clés pour gérer les situations de crise. «Quand quelqu’un se tape la tête par terre et se met à saigner, presque tout le monde sait comment réagir. Par contre, lorsqu’on se retrouve face à une personne qui s’apprête à sauter en bas d’un pont, une personne sous l’emprise de drogue ou son ado en train de se scarifier dans la salle de bains, nous sommes pour la plupart complètement démunis», formule Sophie Wahli-Raccaud, pasteure et responsable de formation à l’Office protestant de formation (OPF), qui a choisi de proposer ce cours dans le cadre de son programme de formation continue.
Un service public
«Le partenariat signé par l’EERS permet aux Églises réformées membres d’organiser ces cours à des conditions avantageuses», explique Bettina Beer. «Le public-cible est défini par l’Église organisatrice. Dans un premier temps, celles-ci se concentrent plutôt sur les ministres et les collaborateurs, pour que ceux-ci portent la sensibilisation de la santé mentale dans leur lieu de travail, mais le but serait aussi de former le plus grand nombre de personnes aux premiers secours en santé mentale.» Et de rappeler que «les Églises ont une mission dépassant le cercle de leurs membres, tout comme l’aumônerie spécialisée, en hôpital ou dans les centres d’enregistrement pour requérants d’asile».
Sans surprise d’ailleurs, on retrouve, parmi la première volée des ministres ayant participé aux cours orientés sur les adolescents proposés par l’OPF, plusieurs aumôniers. «On a pas mal de jeunes qui ont des fragilités psychiques, c’est aussi l’âge qui veut ça», confie Frédéric Steinhauer, pasteur et aumônier du Centre professionnel nord-vaudois, à Yverdon et Sainte-Croix. «Ce qu’on rencontre le plus dans les écoles, ce sont les crises d’angoisse: des jeunes qui "pètent les plombs"et sortent de la classe en pleurant ou qui font des crises de tétanie.»
Agir tout en gardant sa place
Daniel Nagy est quant à lui pasteur jeunesse et aumônier en milieu médical à Fribourg. S’il était sceptique à l’endroit de ce cours, il en est ressorti des plus élogieux: «Les formateurs ne promettent pas de recette miracle. Le but n’est pas que nous prenions la place d’un thérapeute, mais que nous ayons les bonnes réactions face à une situation d’urgence.»
Si la formation donne des outils pour repérer les différentes pathologies, elle encourage surtout à ne pas rester inactif. «Parfois on se retrouve face à des situations où on a un rôle à jouer», explicite Daniel Nagy. «Il ne s’agit pas seulement de remarquer qu’une personne va mal, mais d’oser l’approcher et lui parler ouvertement, pour ensuite chercher avec elle le meilleur accompagnement possible.»
«C’est comme avec les cours de premiers secours, vous ne vous attendez pas à pouvoir entreprendre une opération chirurgicale», formule la responsable de formation à l’OPF. «Il s’agit juste d’avoir les bons réflexes de base et de ne surtout pas aggraver la situation avec des paroles malheureuses.»
Déstigmatiser, une responsabilité biblique
«La réussite de ce cours est de déstigmatiser les personnes qui ont des fragilités psychiques», souligne encore Frédéric Steinhauer. «Car les troubles psychiques nous font à tous un peu peur. Si on n’a pas déjà un proche qui en souffre ou l’habitude d’affronter des situations un peu compliquées, on aura tendance à avoir des préjugés et fermer la porte.»
Mais en quoi une promotion de ces cours par les Églises est-elle, finalement, pertinente? «Celles-ci sont en contact avec de nombreuses personnes, et souvent dans des relations de longue durée. Elles sont donc à même de constater des changements qui pourraient être le signe d’une fragilité psychique et ainsi les encourager à s’adresser à des professionnels avant que la situation ne s’aggrave», indique Bettina Beer. Et d’appuyer: «La souffrance psychique est déjà thématisée dans la Bible, notamment lorsque Jésus chasse des "démons". À l’époque, la santé mentale et physique étaient considérées comme un ensemble. Les Églises ont donc aussi une responsabilité dans ce domaine.»