« Les institutions ecclésiales doivent toutes adapter leur système de décision »
Marie-Claude Ischer, présidente du Conseil synodal (organe exécutif de L’Église protestante réformée du canton de Vaud, EERV) a démissionné ce jour. L'EERV connaît une série de démissions des membres de son exécutif, pour part liées à des tensions avec son organe législatif, accusé entre autres par certains démissionnaires d’être dans une « autre temporalité », et de faire preuve de « défiance ». Ces tensions reflètent une transformation profonde que vit l’Église vaudoise depuis deux décennies. Elles s’expliquent par le passage en 2008 d’une Église d’État à celui d’une institution de droit public subventionnée par l’État.
Ce phénomène implique de profonds changements culturels pour une institution autrefois spécialisée dans la gestion du sens ou les questions spirituelles, et qui doit désormais aussi intégrer des logiques managériales propres à n’importe quelle administration. Une mue profonde qui traverse d’autres Églises en Europe, voire tous les États démocratiques dont les instances de décision se sont mises en place sur des modèles hérités des siècles passés.
Et qui est particulièrement complexe dans les Églises protestantes dont le mode de décision est basé sur un système presbytéro-synodal, qui fait intervenir différentes instances de pouvoir, toutes dotées d’une légitimité : paroisses, Conseil synodal (organe exécutif élu) et le Synode (assemblée délibérante). A noter que dans le canton de Vaud, le synode n’est pas uniquement composé de membres des paroisses. Il y a des représentants des services cantonaux, de l’Etat, de la Faculté de théologie. Décryptage avec le chercheur en sociologie Christophe Monnot.
D’où est originaire le système de décision des Églises protestantes ?
Christophe Monnot : Les Églises sont des institutions démocratiques et organisées à l’instar des systèmes démocratiques cantonaux ou communaux. Elles sont en ça le reflet des grandes institutions mises en place par la Suisse moderne, celles du XIXe siècle. Le système démocratique suisse est effectivement lent à la réforme des institutions, composé d’une multiplication d’anti-chambres démocratiques, commissions synodales, paroisses, et de corps de métier. Autant d’intermédiaires qui ont voix au chapitre et peuvent intervenir à différents niveaux des processus de décision. On se rappelle qu’au début du siècle, Neuchâtel n’a pas approuvé l’adoption du recueil de cantiques Alléluia pour ses célébrations, sur pression des organistes, un corps de métier ayant donc eu le pouvoir de bloquer une décision qui aurait été valable dans toutes les Églises romandes.
En quoi ce système de décision doit-il s’adapter à la modernité ?
Christophe Monnot : Ce système complexe a la particularité de devenir très lourd ou trop encombrant pour une Église qui se rétrécit. La sécularisation explique qu’une partie des membres quittent l’Église, mais surtout s’en distancient. L’Église doit pourtant rester disponible pour eux, mais aussi pour la population. Les besoins ecclésiaux et spirituels ne manquent pas, alors que les membres actifs sont moins nombreux. Pourtant, les appareils démocratiques de l’institution demeurent profilés pour une Église du peuple, avec de nombreuses personnes actives dans différentes instances, pour représenter une très large population.
Il est pourtant difficile de réformer et d’alléger ce système de management hérité du XIXe siècle, car on y enlèverait des leviers de consultations et de contre-pouvoir. Cependant, on le constate, le système devient trop complexe et doit s’adapter à cette nouvelle réalité (moins de moyens, moins de membres, mais des tâches et mandats qui restent importants). Certaines voix remettent en question les processus démocratiques de décision. Or ce n’est pas la démocratie en soit qui est problématique, mais son institutionnalisation représentative d’un peuple qui n’est plus là… Ce problème se retrouve dans d’autres Églises en Europe. Les institutions ecclésiales doivent toutes adapter leur système de décision devenu trop lourd pour la population qu’elles représentent. Faut-il pour autant alléger la machine institutionnelle ? Simplifier le rôle de chacun des intermédiaires ? La tendance, dans toutes les grandes administrations chargées de résoudre une crise institutionnelle, c’est de complexifier pour simplifier. C’est-à-dire, paradoxalement, de créer encore une nouvelle instance de décision, de contrôle, de conciliation. Cela est possible dans la mesure où au sein d’un État, la population est en augmentation. C’est toute la différence avec la situation des Églises…
L’une des solutions est d’avoir recours à des cabinets de consultants externes. Ce qui crée parfois des malentendus, leur langage n’étant pas toujours compris ou accepté en Église. Est-ce que prendre en charge les questions spirituelles et être doté d’une efficacité managériale est par définition antinomique ?
Christophe Monnot : Effectivement, pour remédier aux crises institutionnelles, on recourt à des spécialistes et des compétences spécifiques (cabinet de conseil, compétences en ressources humaines…).
L’enjeu, c’est la manière dont ces nouvelles compétences sont intégrées. Auparavant, la matrice des Églises c’était la formation pastorale en théologie. Quand des personnes dotées de compétences spécifiques entrent dans l’institution se pose la question de savoir où les placer dans l’organigramme, dans l’appareil. On l’observe actuellement dans une série d’institutions avec les spécialistes en matière d’écologie et d’environnement.
L’autre élément crucial, c’est que dans une Église, le travail de ces spécialistes est réinterprété de manière théologique. En effet, les Églises, spécialement protestantes, engagent traditionnellement une catégorie de compétence qui lui est spécifique celle des pasteur·es et théologien·nes. En protestantisme, l’institution est basée sur la formation théologiques de spécialistes garants d’un cadre d’interprétation, au contraire du catholicisme où in fine, la ligne doctrinale est garantie par l’institution. L’orientation théologique est donc importante et va imprimer les actions.
Ainsi, des réorganisations managériales pourront être susceptibles de créer des conflits là où les managers ne l’attendaient pas : un débat théologique ou à consonance théologique peut naître sur une décision institutionnelle parce qu’elle touche à un principe théologique (l’égalité, l’inclusivité, la place des ministres du culte et des autres corps de métier ou le souci de la Création...) De plus, l’histoire institutionnelle a pourvu aux ministres (pasteur·es, aumônier·es et diacres, …) une légitimité et une place dans les organes décisionnels et de compétences, alors que les autres expertises n’ont pas ou peu de places établies. Cela va nécessairement créer des tensions.
Est-ce que des changements aussi conséquents peuvent être menés avec un exécutif qui change ?
Christophe Monnot : A mon sens, que l’exécutif soit entrant ou partant ne change pas vraiment quelque chose. Ce qui est important, et que la crise au sein de l’EERV illustre d’une certaine manière, est qu’il est nécessaire que la réforme institutionnelle soit portée par plusieurs des instances de décision et non pas seulement par un exécutif. Pour l’instant de nombreuses réformes ont été, de fait, pilotées par l’État avec, notamment, ses exigences et enveloppes budgétaires…