«Opposer enseignement confessionnel et de culture religieuse ne fonctionne plus»

Hansjörg Schmid directeur du Centre suisse islam et société / ©STEMUTZ PHOTO / CSIS-UniFR
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Hansjörg Schmid directeur du Centre suisse islam et société
©STEMUTZ PHOTO / CSIS-UniFR

«Opposer enseignement confessionnel et de culture religieuse ne fonctionne plus»

RECHERCHE
Une étude du Centre suisse islam et société menée avec différents partenaires explore pour la première fois l’enseignement musulman confessionnel à l’école en Suisse. Une approche qualitative, qui montre entre autres que les différences entre cours confessionnel et leçons sur le fait religieux ne sont pas si claires. Entretien avec Hansjörg Schmid directeur du CSIS, co-auteur de la recherche.

Est-ce une nouvelle fois la volonté de prévenir une éventuelle radicalisation qui a motivé cette étude? Comment comprendre qu’elle n’inclue pas tous les cantons suisses?

Hansjörg Schmid: A l’origine, avec mon collègue Andreas Tunger-Zanetti de Lucerne, nous souhaitions étudier l’enseignement confessionnel de l’islam à l’école (enseignement religieux islamique, ERI), côté alémanique, pour comprendre ses spécificités: le matériel pédagogique utilisé, la structure des cours, la reconnaissance offerte par cet enseignement pour ses acteurs… Comme l’enseignement religieux représente aussi une mesure de prévention de la radicalisation dans un sens large, nous avons pu bénéficier de subsides de Fedpol (Office fédéral de la police, NDLR) dans le cadre du Plan d’action national de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent.

Pour le choix des cantons, notre première intention était de nous focaliser sur la partie alémanique, mais nous avons présenté la proposition de projet devant une commission de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) où les représentants romands ont estimé que la question de l’enseignement de la diversité religieuse méritait aussi d’être explorée en Suisse romande. Nous avons ainsi élargi l’étude.

Pour avoir un panorama complet, il aurait aussi fallu se pencher sur l’enseignement de l’éthique et cultures religieuses (ECR) côté alémanique, ce que le temps et le budget ne permettaient pas. Le périmètre de l’étude est donc asymétrique. Cependant, le spectre des différents types de modèles existants est couvert.

Il est difficile de tirer une conclusion générale de ce travail qualitatif. On retient d’abord que le confessionnel a son importance, le but était-il de réhabiliter cet enseignement?

Plutôt de ne pas opposer frontalement enseignement confessionnel d’un côté, et cours neutre étatique sur le fait religieux de l’autre. Notre étude montre qu’il y a des zones grises entre les deux.

L’exemple de l’islam illustre que l’enseignement confessionnel peut jouer un rôle important, car il permet de transmettre une capacité à réfléchir sur sa propre religion. Sans cela, il y a un risque de vide ou d’incapacité à s’exprimer sur le sujet, car les parents peuvent rarement transmettre un savoir théologique structuré, les mosquées en situation de minorité non plus.

Cet enseignement confessionnel peut couvrir un large spectre de diversité au sein même de l’islam, de pratiques et d’appartenances. Il fournit une occasion de faire connaissance avec des traditions islamiques de manière discursive et ancrée dans le contexte.

Au cours des deux dernières décennies, de nombreux matériels pédagogiques pour l’enseignement religieux islamique ont été développés en Autriche et en Allemagne et sont maintenant aussi utilisés en Suisse. Et lorsqu’on se penche sur ces manuels, on constate qu’ils sont comparables avec le matériel d’autres branches scolaires. Il y a par exemple des chapitres sur les «femmes fortes» dans le Coran et dans le contexte contemporain, sur la diversité interne à l’islam et dans la société actuelle.

L’exemple de l’islam illustre que l’enseignement confessionnel peut jouer un rôle important, car il permet de transmettre une capacité à réfléchir sur sa propre religion.
Hansjörg Schmid

Que voulez-vous dire par «zone grise» entre le savoir confessionnel et savoir sur le fait religieux?

Opposer l’un et l’autre ne fonctionne plus. Même pour un enseignement confessionnel aujourd’hui, il faut se baser sur des résultats de recherche scientifique. Et un enseignement étatique sur l’éthique atteindra aussi des questions existentielles. Jusqu’où ira l’enseignant? En fin de compte, on a pu observer que les pratiques sont aussi diverses que les personnes. Les sensibilités culturelles cantonales ont également une influence considérable. Dans le canton de Vaud, c’est déjà beaucoup d’avoir conservé ces périodes d’enseignements par endroits. Pour Fribourg, le maintien de cours confessionnels n’est pas interrogé. Par ailleurs, comme le souligne une des personnes interrogées, ce savoir confessionnel est important pour les adolescents. Et il peut être transmis de manière renouvelée, comme le montre l’exemple de projet Dialogue en route de IRAS COTIS, qui combine des visites et témoignages avec un cadre didactique.

Qu’est-ce qui distingue les deux types d’enseignement?

Ils sont complémentaires et différents. Dans l’ERI on peut se référer au Coran en arabe comme source de croyance existentielle, tandis qu’en ECR, on étudie des textes de manière distanciée. Il est utile de connaître et de savoir distinguer les deux approches. Tout comme un moment de recueillement possible coté confessionnel pourrait faire sens d’un point de vue anthropologique, au milieu d’une journée scolaire très dense.

On pourrait cependant estimer qu’avec la sécularisation, le rôle d’un enseignement confessionnel se restreint…

Effectivement, des études récentes de l’OFS montrent que la part de personnes sans confession augmente.

Mais la religion reste un sujet central. Et si l’on a une conception d’une école publique exhaustive, qui donne des bases pour la vie personnelle et professionnelle, la religion en fait partie. Un cours de philosophie n’est pas suffisant. Il peut aider à réfléchir de manière critique sur la religion, mais il faut aussi comprendre la religion pour elle-même, comme un objet en soi. Distinguer une théorie de l’évolution fondée scientifiquement et un récit littéraire poétique théologique contenu dans le Coran ou la Bible fait partie du savoir général. Les connaissances religieuses ne doivent pas servir qu’à déconstruire une tradition, elles répondent à des questions existentielles et spirituelles profondes. Ces dernières sont d’ailleurs investies aujourd’hui par les mouvements écologiques, l’action sociale, l’esthétique, l’art, la musique… Exclure ces sujets de l’enseignement me paraît anachronique.

Votre étude pointe un aspect rarement soulevé: les difficultés à financer L’ERI…

Aujourd’hui, il faut un certain courage à un Canton qui investit sur des sujets confessionnels… Ce financement est principalement le fait de communautés musulmanes, en effet, comme c’est le cas pour les Églises. Entre les exigences juridiques, l’argent à trouver, les enseignants qualifiés à recruter, monter un enseignement en ERI s’avère une gageure. C’est un cercle vicieux: sans financement solide, il n’y a pas de motivation pour les jeunes à se former pour travailler dans ce domaine. Le cas le plus notable est celui de Kreuzlingen en Thurgovie qui a stabilisé l’enseignement d’ERI à travers une association intégrant des responsables cantonaux, des responsables ecclésiaux chrétiens, et des responsables d’associations musulmanes. Cette structure se charge aussi du financement.

La question du financement est aussi liée à celle de la reconnaissance publique

Oui, mais on constate aussi des formes de flexibilité du droit local. Des projets pilotes peuvent être menés par endroit, même si une communauté religieuse n’est pas reconnue par le droit public. C’est le cas à Zurich, qui a ainsi développé un système d’aumônerie musulmane. Le choix est le même pour l’ERI: soit on attend 20 ans qu’une procédure de reconnaissance arrive à son terme, soit on développe des solutions sur-mesure.

L’objectif du CSIS, avec cette étude, serait-il de légitimer le besoin d’une formation d’enseignants en ERI?

Oui et non. Nous avons une doctorante qui travaille sur ce sujet et avec le soutien de la Fondation Mercator Suisse, nous réalisons un projet «Diversité et orientation» qui combine la recherche et la mise sur pied d’ateliers pour les enseignants. Nous avons ressenti un vide, plusieurs enseignants en ERI se sont formés dans les années 2000 lors d’une formation proposée en Suisse par un institut allemand. Mais sans perspective de financement claire, construire une filière de formation n’est pas cohérent. Nous voudrions plutôt proposer des ateliers pour ce groupe cible et réunir également des enseignants de différentes disciplines.

La recherche en bref

Menée conjointement par le Centre suisse islam et société (CSIS) de l’Université de Fribourg, l’Institut de droit des religions de l’Université de Fribourg et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne, la recherche analyse huit établissements scolaires dans quatre cantons (Lucerne, Zurich, Thurgovie, Schaffhouse) dispensant un enseignement confessionnel musulman. Elle revient aussi sur les formations au fait religieux dispensées dans les cantons de Genève et de Vaud. Le cas particulier de Fribourg qui propose un enseignement confessionnel et des cours de fait religieux est aussi étudié. Un chapitre est aussi dédié au cas du Tessin, marqué par l’enseignement confessionnel catholique. Enfin, les éditions AGORA, acteur clé du savoir religieux en Suisse romande sont aussi mises en perspectives. Des entretiens qualitatifs avec des actrices et acteurs clés de l’enseignement confessionnel musulman et des cours publics de culture religieuse ont été menés. Les points de vue des administrations, des écoles et des communautés religieuses sont aussi pris en compte. Enfin, un second volet revient dans le détail sur les fondements juridiques — différents selon chaque canton — de l’enseignement religieux en Suisse. L’ensemble ne représente certes pas un panorama complet, mais constitue une mine d’or, en termes d’informations, tant les situations cantonales divergent et sont méconnues, parfois entre les acteurs eux-mêmes.

C.A.

Référence

Diversité religieuse, perspectives interreligieuses et enseignement religieux islamique en Suisse: état des lieux et marges de manœuvre, Schmid Hansjörg, Pahud de Mortanges René, Tunger-Zanetti Andreas, Roveri Tatiana. Une étude conjointe du Centre suisse islam et société, de l’Institut de droit des religions de l’Université de Fribourg et du Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne.