La mission en noir et blanc

Ahmet Köken, chargé de recherche à l’Institut d’études politiques (UNIL) / © DR
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Ahmet Köken, chargé de recherche à l’Institut d’études politiques (UNIL)
© DR

La mission en noir et blanc

Sylviane Pittet
22 mai 2023
Pour sa thèse en sciences sociales et politiques, Ahmet Köken, chargé de recherches à Université de Lausanne, explore les liens entre la Mission romande et le colonialisme en Afrique australe. Entretien.

Que se passe-t-il au Mozambique entre 1890 et 1940 ?

AHMET KÖKEN Dès la fin des années 1890, les Portugais ont consolidé leur domination coloniale au Mozambique et mis en place un des régimes de travail forcé les plus durables du continent. C’est d’ailleurs le travail forcé qui a connecté le Mozambique aux mines d’or sud-africaines : l’administration coloniale portugaise se chargeait d’approvisionner une grande partie d’une main-d’oeuvre bon marché dont les propriétaires de mines dépendaient pour être rentables.

Que viennent faire les missionnaires suisses dans ce tableau ?

Les missionnaires romands ont commencé leurs efforts de prosélytisme en Afrique australe dès le milieu du XIXe siècle. Les premiers, recrutés par la Société évangélique missionnaire de Paris, arrivent au Lesotho dans les années 1850. Vingt ans plus tard, l’Église libre du canton de Vaud établit sa propre société missionnaire dans le nord du Transvaal, la Mission romande (MR). Dès l’ouverture de sa première station missionnaire, la MR a été fortement impliquée dans le remodelage des strates socio-économiques de l’Afrique du Sud et du Mozambique.

Vous évoquez les liens entre les missionnaires suisses, les travailleurs forcés et les directeurs de mines. Quel rôle jouait la Mission romande ?

Une trentaine de sociétés missionnaires étaient présentes dans les mines d’or de Johannesburg depuis la fin du XIXe siècle. La MR a concentré son action sur les travailleurs migrants tsonga, du sud du Mozambique, soit la moitié de la main-d’oeuvre des mines. En collaboration avec la direction, la MR a construit des centres missionnaires, écoles et bibliothèques dans les complexes miniers. Elle organisait également les envois de fonds de travailleurs à leurs familles au Mozambique.

Les catéchistes africains sont-ils impliqués dans la Mission romande?

Oui. Jusqu’à trois quarts des évangélistes employés dans certaines stations missionnaires au Mozambique avaient été recrutés dans les mines de Johannesburg. Pour les femmes en particulier, les stations pouvaient offrir un refuge et, avec leurs écoles, une opportunité d’améliorer leur situation sociale et économique. Au milieu du XXe siècle, plusieurs dirigeants du mouvement d’indépendance nationale, dont Eduardo Mondlane (premier président du Front de libération du Mozambique), ont reçu leur éducation primaire dans des écoles missionnaires suisses.

Qu’est-ce qui vous a conduit à commencer cette recherche, basée sur les photographies?

Un nouveau groupe de recherche à l’UNIL, qui étudie l’histoire coloniale de la Suisse dans une perspective collaborative et un intérêt pour l’histoire visuelle coloniale de la Suisse. Le plus souvent, les recherches portant sur les photographies coloniales analysent le regard que posaient les photographes et les représentations coloniales que leurs images généraient en Europe. En me concentrant sur les photographiés en tant que sujets historiques, je souhaite analyser ces photographies au-delà du regard colonial. La question sera de savoir quelles autres lectures ces images peuvent offrir sur l’histoire croisée entre la Suisse et l’Afrique australe.

La recherche

Ahmet Köken est associé au groupe de recherche Moral and Economic Entrepreneurship: a Collaborative History of Global Switzerland (1800- 1900).

wp.unil.ch/collaborativehistory