Hildegarde de Bingen: visions, liberté et musique

Hildegarde de Bingen, gravure de W. Marshall / © cc by NC: Mark Cartwright
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Hildegarde de Bingen, gravure de W. Marshall
© cc by NC: Mark Cartwright

Hildegarde de Bingen: visions, liberté et musique

INCANDESCENT
Une moniale du XIIe siècle a su traduire ses visions de Dieu en une spiritualité qui investit toute la personne humaine.

Dieu est un feu qui est Quelqu’un… Voilà la première vision que relate Hildegarde de Bingen dans le livre où cette moniale médiévale divulgue ce qui se révèle à elle depuis l’âge de 5 ans. Une vision à la fois lumineuse et biblique. Dans l’Ancien Testament déjà, Dieu se révélait à Moïse dans un buisson en feu (voir Exode 3, 1-7). Et pour Hildegarde aussi, l’Eternel est énergie, puissance, lumière, mais Il ne détruit pas.

Au cœur de ce XIIe siècle où tant de religieux ont ouvert des voies de spiritualité, voilà une moniale multiple, oubliée au cours des siècles trop masculins. Une maîtresse femme, amoureuse de la vie. Car elle le sait: Dieu veut des hommes et des femmes vivants et heureux. Et sa vie et sa flamme doivent circuler, pour animer tout être. L’harmonie vers laquelle tend Hildegarde n’est pourtant pas affirmation égoïste et orgueilleuse. Elle n’est pas un but en soi, mais la découverte d’un amour véritable, qui réalise l’unité de la personne humaine. Un amour par lequel la personne se laisse brûler, sans se consumer, pour s’y ajuster. Sur la base des visions qui lui sont accordées, et qu’elle relate, Hildegarde propose ainsi des voies de conversion, traversant obstacles et tentations, et conduisant à des chants inénarrables.

Impliquer tous les sens

A ses moniales, au cœur de l’Allemagne actuelle, l’abbesse propose une vie où le labeur est conçu comme art de vivre et éducation artistique. Une révolution à une époque où le rythme monastique n’est souvent qu’austérité et pénitence. Dans ce mode de vie, tous les sens sont impliqués: les moniales bâtissent, cultivent, copient des manuscrits et en composent les enluminures. Elles cuisinent, concoctent des élixirs aux mille goûts, jouent de la musique et chantent.

Mais ses visions poussent également Hildegarde de Bingen à prêcher hors de son monastère. Ce qu’elle accomplit alors est inédit pour une femme de son siècle: quatre tournées de prédications dans les plus grandes cathédrales de son temps, Cologne, Mayence, Trèves, Metz…

Chant et médecine

Sa recherche investit les cinq sens: elle se traduit en musique (Hildegarde compose des dizaines de pièces liturgiques, qui continuent d’enchanter les interprètes aujourd’hui) ou en médecine… Elle décèle les influences bénéfiques ou négatives des plantes sur l’âme et sur le corps. Car, pour elle, l’univers est au service de la justice, donc de la santé: «Les herbes et les plantes abondent sur la terre et chacune émet un parfum délicieux. La création entière aspire à l’affection et à l’amour, elle se tient au service de l’humanité et donne le meilleur d’elle-même généreusement, sans rien attendre en retour…» Une spiritualité holistique et en harmonie avec la Création, en parfaite consonance avec les préoccupations personnelles et planétaires de notre époque.

Je vis comme une grande montagne couleur de fer, et sur elle quelqu’un était assis, resplendissant d’un tel éclat que sa lumière offusquait ma vue […]. De celui-là même qui était assis sur la montagne, une infinité d’étincelles vivantes s’échappaient
Hildegarde de Bingen, Scivias (XIIe siècle)

Femme d’autorité

Hildegarde refuse de se plier au pouvoir. Elle jouit d’une grande autorité pour intervenir dans la vie politique, car ses visions la poussent à agir. Se sachant porteuse d’un message qui la dépasse, elle bouscule les limites permises alors aux femmes: elle réprimande les prêtres dont elle critique l’injustice et les écarts moraux; elle écrit aux princes pour défendre l’Évangile face aux volontés de puissance; elle conseille ou blâme les papes, les empereurs, les évêques… Sa correspondance compte plus de quatre cents lettres.