La souveraineté des Etats mise en danger

©iStock
i
©iStock

La souveraineté des Etats mise en danger

Droit
Au-delà des solutions techniques, ce sont une vision de la société et des règles éthiques que les géants de l’informatique essaient de faire adopter au monde. Un juriste dénonce le laisser-faire en la matière.

«Pour un Etat, être souverain, c’est décider à quelles règles on se soumet», résume Jean Christophe Schwaab. Il prépare un ouvrage à paraître en fin d’année dans la collection Le Savoir suisse sur la «souveraineté numérique». Attaché à une vision où les principes du vivre-ensemble font l’objet de débats démocratiques, il constate que les nouvelles technologies sont porteuses de règles imposées par des entreprises.

Ainsi, les réseaux sociaux appliquent une modération qui va censurer l’art de la Renaissance mais tolérer les discours haineux au nom d’une vision libertarienne et californienne de la liberté d’expression. Et dans certains cas, les Etats se voient même imposer des règles d’autres Etats: «C’est le cas avec l’US Cloud Act», donne-t-il comme exemple. «Dans le monde réel, un policier américain ne peut pas venir ici arrêter un suspect, même américain. Mais avec les lois liées aux nouvelles technologies, les Etats-Unis s’octroient le droit de mener des enquêtes pénales sur notre sol en violation de notre souveraineté. Plus pernicieux et plus dangereux encore, tout cela influe sur la façon dont on conçoit la règle. En Europe, on a l’habitude de fixer les règles au travers de lois, là où les pays anglo-saxons pratiquent une justice fixée par la jurisprudence.»

Le solutionnisme technologique

Jean Christophe Schwaab pointe encore un autre problème: «Les nouvelles technologies imposent également une certaine forme de ‹solutionnisme technologique› qui mène à croire que pour chaque problème il existe une solution technologique.» Une vision du monde qui ne laisse que peu de place à une réflexion sur les bienfaits ou non d’une invention. «Au niveau économique, alors que l’on tient à s’assurer, en Europe, que le marché permet toujours une saine concurrence, en appliquant des règles antimonopole, les promoteurs des nouvelles technologies numériques nous imposent en revanche un discours allant dans le sens que le plus fort emporte tout.»

Défaitisme du législateur

«Les entreprises technologiques renvoient souvent le discours qu’elles font quelque chose de nouveau, qu’il y a un vide juridique et qu’il faut les laisser faire, puisqu’elles sont les seules à comprendre ce qu’elles font. Mais c’est renoncer à sa souveraineté», s’insurge Jean Christophe Schwaab. «D’abord, dans de nombreux cas, les lois existantes s’appliquent! Quand Uber prétend faire quelque chose de neuf, c’est pour contourner le droit du travail, les assurances sociales et les conventions collectives!» dénonce-t-il. «Mais, surtout, il faut combattre le défaitisme que l’on voit chez certains parlementaires qui partent de l’idée que les grandes entreprises de la tech sont les seules à comprendre ce qu’elles font et qu’il ne sert à rien de s’opposer à elles! Nos parlementaires de milice parviennent à se plonger dans la politique agricole, dans l’urbanisme ou dans la stratégie financière, mais ils n’arriveraient pas à comprendre les enjeux de nouveaux services proposés à la population? La communauté de communes de l’île d’Oléron a par exemple décidé d’attaquer Airbnb pour obtenir le paiement de la taxe de séjour, au lieu de se dire qu’il fallait changer la règle pour ce géant. Et les pouvoirs publics ont gagné devant les tribunaux. Il ne faut pas partir du principe que l’on ne peut rien faire.»

i
Jean Christophe Schwaab docteur en droit, vice-syndic de Bourg-en-Lavaux (VD)
©DR