Manéli Farahmand, par-dessus les flammes

Manéli Farahmand, directrice du Centre intercantonal d'information sur les croyances (CIC) / ©Sophie Brasey
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Manéli Farahmand, directrice du Centre intercantonal d'information sur les croyances (CIC)
©Sophie Brasey

Manéli Farahmand, par-dessus les flammes

Rescousse
La directrice du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC) scrute les mutations du religieux et évite les polémiques. Ses identités multiples nourrissent un sens aigu de la nuance.

Quotidiens, plateaux télé: dès que notre société prend conscience d’un phénomène religieux «nouveau», Manéli Farahmand est appelée à la rescousse pour le décrypter. Qu’il s’agisse de phénomènes anodins ou de mouvements franchement problématiques en démocratie, elle déjoue les polémiques. Son leitmotiv? «Amener de la nuance», «comprendre» avant de stigmatiser, distinguer selon le savoir-faire du CIC (voir notre édition de février 2024) les authentiques «dérives répréhensibles» des «situations problématiques infra-pénales»… ou de simples malentendus.

A ceux qui refusent de regarder les dysfonctionnements de leurs propres traditions, elle rappelle que «tout mouvement, tout groupe peut dériver. Ce n’est pas propre aux ‹nouvelles religiosités›». Quant à ces dernières, la chercheuse n’y voit pas que liberté et invention de soi: elle scrute les nouvelles normes qui en émergent. Ainsi les «cercles d’hommes» dont certains discours «contribuent à reconstruire un masculin figé et des rôles de genre stéréotypés».

Contrer les discriminations comme les dérives religieuses, y compris auprès des autorités, suppose un rôle d’équilibriste. Manéli Farahmand ne l’exerce pas par hasard, même si elle confesse avoir toujours du mal à «dénouer les fils de son parcours».

Tentons tout de même! Le religieux y est central. «Il a joué un rôle dans notre mobilité migratoire. Ses liens avec la politique, le rôle de l’identité religieuse dans une trajectoire migratoire constituaient un thème fréquent dans notre famille», explique cette fille d’exilés iraniens, arrivée à Neuchâtel au début des années 1990.

De cette enfance, elle conserve aussi et surtout une mémoire éblouie de diversité et de chaleur communautaire. L’un de ses premiers souvenirs? «Ces sauts par-dessus le feu, avec ma soeur et d’autres enfants, un rituel préislamique traditionnel pour la fête de Tchaharchanbé-Souri, lors du solstice d’hiver.» Un temps de joie, de solidarité, où elle s’est sentie «portée par les autres, surtout les femmes, au rôle important dans les traditions païennes». Elle fréquente «le soir, le week-end, durant les vacances» une école iranienne avec les communautés alévies, bahaïes kurdes: «chants, percussions, danses, musiques. Il n’y avait pas de volonté de séparatisme. On avait tous vécu la migration: c’était une manière de nous réapproprier nos racines». Des temps qui ont permis à cette chercheuse ultra-analytique de rester à l’écoute de ses émotions, de se reconnecter «à cette culture dérobée, ma culture», et à l’art, «ma seule manière de continuer à résonner, à vibrer».

L’art, ma seule manière de continuer à résonner

Elle raffole aujourd’hui «du cinéma iranien et de son intensité émotionnelle unique», elle s’interroge à travers la poésie (voir encadré) et retrouve la diversité au sein de l’ensemble vocal féminin Callirhoé à Lausanne, dont elle apprécie «l’horizontalité, le partage. Il y a dans les ensembles féminins quelque chose de puissant, de l’ordre du renforcement collectif». Qui rappelle aussi la connexion qu’elle entretient avec les femmes de sa famille: «Ma tante, ma mère, ma soeur, ma cousine et moi sommes très liées, on s’envoie des références en permanence.»

C’est l’influence d’une professeure de l’Université de Lausanne qui l’a conduite à lever la main, un jour en cours, pour partir au Mexique afin d’étudier la théologie de la libération au Chiapas, dans un contexte postcolonial, où religion et politique se répondent constamment. «Une claque pour moi, ce voyage.» L’étudiante y découvre le rôle «transactionnel» des religions, leur «instrumentalisation» de toutes parts, celle des fidèles et des institutions. Elle retournera sur place pour étudier les nouvelles formes de chamanisme, espaces particulièrement investis par des femmes. C’est la rencontre avec ce terrain qui permettra de faire émerger ses talents, reconnus, de chercheuse. Son CV, listant ses contributions et interventions, compte onze pages. Avec, en filigrane, une conviction: «Parler de ‹briscollage› pour désigner ces phénomènes spirituels, c’est les considérer comme incohérents, réduire leurs acteurs à des consommateurs irréfléchis. Au contraire, les personnes qui investissent ces nouvelles pratiques ont une agentivité. Très souvent, la créativité rituelle est une résistance ‹par le bas›, une manière de retrouver son pouvoir créateur.»

Bio express

1986 Naissance à Téhéran.

1989 Arrivée en Suisse.

2009 Début de sa recherche de terrain au Mexique et au Guatemala.

2019 Doctorat ès sciences des religions, spécialisation en socio-anthropologie des religions (Universités de Lausanne et d’Ottawa). Prix d’excellence de la Société académique vaudoise (SAV).

2022 Néochamanisme maya. Passé revisité, pouvoir au féminin et quête spirituelle, éditions Antipodes.

2020 Direction du Centre intercantonal d’information sur les croyances (CIC).

Sol épicé

En terres neuves,
chaleur épaisse
me saisit aux chevilles,
pieds moites criblés
de sable opiniâtre,
mosaïque de caresses,
me parlent de refuge,
fleur après fleur,
au rythme de l’oubli,
le safran d’or-rouge
fuit mes mains,
faisant
reluire,
fleur bleue,
ma terre d’asile.