«Les campagnes d’impact ont plus d’importance que jamais»
«Connaissez-vous le déroulé de la procédure d’asile en Suisse?»; «Pensez-vous que les personnes répondant aux critères requis obtiennent effectivement ce statut en Suisse?». Voici quelques-unes des questions posées en mars dernier, lors du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), au public de L’Audition (Lisa Gerig, 2023). Cette fiction documentaire suit quatre demandeurs d’asile rejouant leur audition de procédure d’asile devant les autorités suisses. Anonyme, le questionnaire réalisé au moyen d’une application web est à nouveau soumis au public après la projection. «C’est une manière d’engager l’audience, nous sommes intéressés à comprendre le pouvoir du film, sa capacité à remuer, émouvoir, à inviter à la réflexion de manière plus poussée qu’un film traditionnel», explique Ana Castañosa, responsable du programme Impact Days au FIFDH. Car L’Audition fait partie des films dits «à impact».
Susciter une réaction
En 2023, il a d’ailleurs fait partie du programme Impact Days, lancé en 2019 par le FIFDH pour accompagner et mettre en contact les professionnels actifs de ce nouveau secteur, distinct dans la production cinématographique. L’impact compte aujourd’hui ses maisons de production, ses réseaux, ses relais spécifiques, y compris en Suisse. Pourtant, à l’origine, tous les films, notamment documentaires, ne visent-ils pas à toucher et émouvoir une large audience? «Les films à impact vont un peu plus loin en ce qu’ils visent à provoquer un changement social de leur audience, à provoquer chez le spectateur une action, un engagement. En ce sens, une campagne d’impact ne consiste pas juste à réunir une large audience, mais bien à susciter une réaction: elle démarre une fois que la projection du film est finie», précise Ana Castañosa. Une réaction qui peut être une action concrète (signature de pétition, envoi de lettre à des responsables politiques), voire un changement de comportement: abandon de l’usage des plastiques à usage unique après avoir vu un film sur leurs conséquences pour les animaux marins, par exemple.
Réunir des politiques
«Mais si un film permet ne serait-ce que de remettre en question des stéréotypes et les idées reçues qu’on peut avoir sur un sujet, d’apporter une vision différente, de permettre d’adopter un autre point de vue, de se décentrer, il aura aussi un impact», estime Raphaël Rey, chargé d’information et de projets pour le Centre social protestant de Genève et qui a participé lors du FIFDH, avec Caritas, à un débat sur les questions autour de la procédure d’asile en Suisse. Le CSP, comme beaucoup d’autres ONG, voit l’intérêt des films documentaires pour porter un combat politique. L’Audition a déjà été montré à des équipes du Secrétariat d’Etat aux migrations – qui a collaboré à la construction du film. «Avec d’autres organisations, nous souhaiterions organiser une ou des projections auprès de parlementaires de la Berne fédérale, qui font et défont les lois de l’asile. Ils travaillent en ayant des chiffres abstraits en tête. Or le film montre bien que ces auditions conçues pour entendre les motifs d’asile d’une personne se sont transformées en séances où l’on traque des abus et des contradictions…»
Reste que les objectifs d’un film à impact peuvent être multiples. A une époque de forte polarisation identitaire et médiatique, de multiplication des discours, les campagnes d’impact «ont plus d’importance que jamais», estime Ana Castañosa. En effet, les films concernés sont à la pointe du savoir-faire pour raconter l’histoire de personnes qui souffrent, en adoptant leur point de vue.