«L’Etat a effacé une dette pour des raisons humanitaires»
Claude Ruey a fort mal vécu l’expérience d’être mêlé à une situation dont il ne connaissait vraisemblablement pas tous les contours. En août 2001, il était conseiller d’Etat vaudois et a rencontré le Conseil synodal (exécutif) de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) qui lui aurait demandé d’effacer une dette de 100 000 francs, due par Henri (prénom d’emprunt).
Selon l’enquête de l’agence Protestinfo publiée dans Le Temps, ce dernier s’était fait financer ses études par l’Etat en vue dedevenir pasteur, en échange de quoi il devait exercer pendant dix ans. Selon la version de cet homme, il y renonce, ayant appris l’existence d’un abus sexuel présumé commis sur son épouse, Sylvie, par un professeur renommé. Sylvie s’était déjà plainte au printemps 1997 auprès de l’Université de Lausanne, en vain.
C’est alors, en 2001, qu’a lieu cette rencontre entre l’Eglise et l’Etat de Vaud. Selon le procès-verbal du Conseil synodal, l’Etat décide de renoncer à cette créance de 100 000 francs pour des «motifs juridiques». Néanmoins, le cas de ce professeur continued’inquiéter l’exécutif de l’Eglise évangélique réformée vaudoise pendant de longues années. Après qu’un second cas est apparu, celui de Laurence, un membre de ce conseil préconise de définir au plus vite une stratégie de communication au cas où ces abus présumés seraient révélés.
Dans notre article, Claude Ruey affirmait ceci: «Jamais je n’aurais accepté de dissimuler un abus. C’est totalement contraire à mon éthique.» Et encore: «M’aurait-on caché de quoi il s’agissait?» Enfin, «je n’ai aucun souvenir de cette décision, mais je peux imaginer que l’Eglise m’a fait part du cas d’un homme dont il faudrait effacer la dette pour des raisons humanitaires». Dans la foulée, il a aussi écrit à l’actuel Conseil synodal pour déplorer l’intervention d’un de ses représentants dans l’émission Forum, regrettant qu’il «n’ait pas protesté plus avant et plus fermement de l’innocence du Conseil synodal en se contentant de renvoyer les responsabilités à l’Etat et à l’université».
L’Etat de Vaud a-t-il tenu un procès-verbal de cette rencontre du 31 août 2001 entre une délégation du Conseil synodal et l’Etat de Vaud?
Cette rencontre n’avait rien d’exceptionnel. Le conseiller d’Etat chargé des Affaires religieuses tenait régulièrement des séances de coordination avec une délégation du Conseil synodal. Renseignements pris, les archives de l’Etat ne contiennent plus aucun dossier relatif à ces rencontres. Le document dont il est question dans l’article est un procès-verbal du Conseil synodal que je ne connaissais pas.
Dans votre courriel à l’Eglise, vous évoquez le cas d’Henri, qui serait bouleversé par l’adultère de sa femme, et invoquez des raisons humanitaires pour expliquer l’effacement de sa dette envers l’Etat de Vaud. Votre mémoire n’était pas aussi précise lorsque Protestinfo vous a contacté.
J’ai une excellente mémoire, c’est la raison pour laquelle, lorsque j’ai été interpellé par le journaliste de Protestinfo et qu’il m’a donné le nom d’un professeur à propos d’un abus sexuel, je suis tombé des nues! J’en ai été absolument stupéfait. Je me serais évidemment souvenu d’un tel cas vu la notoriété du professeur. Ce n’est qu’il y a un mois que j’en ai entendu parler pour la première fois. Je me souviens en revanche avoir été sollicité pour venir en aide à un futur pasteur qui devait renoncer à sa vocation pour des raisons personnelles.
Les motifs juridiques auxquels se réfère le Conseil synodal seraient donc des raisons humanitaires?
Je ne peux m’exprimer au nom du conseil.
Cette dette s’élevait à 100 000 francs à une époque où les finances publiques vaudoises n’étaient pas bonnes. Etait-il fréquent de renoncer ainsi à de telles créances?
Il faut mettre ceci dans son contexte: le budget cantonal porte sur des milliards; il s’agirait donc d’une bourse de 30 000 francs par année sur trois ans.
Dans l’émission «Forum», un représentant du Conseil synodal a estimé que l’effacement de cette dette relève exclusivement de l’Etat. Peut-on en conclure que l’Etat de Vaud a pris cette décision seul, sans injonction de l’Eglise?
Evidemment non, en précisant que l’Etat ne répond pas à des injonctions de l’Eglise, mais à des requêtes ou demandes.
C’est donc l’Eglise qui vous a demandé de renoncer à cette créance?
Oui, pour des motifs humanitaires ou compassionnels.