La jachère contre la surenchère

Champ en jachère à Servion. / © Florence Clerc Aegerter
i
Champ en jachère à Servion.
© Florence Clerc Aegerter

La jachère contre la surenchère

Florence Clerc-Aegerter, pasteure, et Véronique Monnard, diacre
26 septembre 2024
Automne
Un dialogue sur Lévitique 25, 2-7: «Une leçon de reconnaissance et de gratitude! Je ne sais pas quand tombe cette septième année… mais il est peut-être temps de la vivre dès maintenant.»
Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne, la terre se reposera : ce sera un sabbat en l’honneur de l’Eternel. Pendant six années tu ensemenceras ton champ, pendant six années tu tailleras ta vigne ; et tu en recueilleras le produit. Mais la septième année sera un sabbat, un temps de repos pour la terre, un sabbat en l’honneur de l’Eternel : tu n’ensemenceras point ton champ, et tu ne tailleras point ta vigne. Tu ne moissonneras point ce qui proviendra des grains tombés de ta moisson, et tu ne vendangeras point les raisins de ta vigne non taillée : ce sera une année de repos pour la terre. Ce que produira la terre pendant son sabbat vous servira de nourriture, à toi, à ton serviteur et à ta servante, à ton mercenaire et à l’étranger qui demeurent avec toi, à ton bétail et aux animaux qui sont dans ton pays ; tout son produit servira de nourriture.
Lévitique 25, 2-7 (traduction Segond 1910)

– L’automne est le temps des dernières récoltes et des labours, où l’on prépare la terre à recevoir le grain pour l’année suivante…

– … mais la Bible évoque cette curieuse prescription de Dieu à son peuple de ne récolter ni blé ni raisin pendant une année tous les sept ans.

– C’est pour que la terre se repose durant cette année, comme les humains et les animaux chaque semaine lors du sabbat.

– Mais pourquoi cette prescription un peu sévère? Se nourrir de ce que produira le sol, sauf du blé et du raisin, alors que le pain et le vin étaient des aliments de base dans l’Antiquité…

– Dieu n’interdit pas de produire des légumes ou d’autres fruits, ni de consommer des produits laitiers ou de la viande! Le peuple ne risquait pas de mourir de faim. En revanche, il travaillait moins: produire du pain ou du vin, c’est ce qui lui demandait le plus d’efforts.

– Et Dieu précise que tous les habitants du pays, y compris les animaux sauvages, se nourriront de ce que la terre produira: tous logés à la même enseigne, comme dans le jardin d’Eden. Pour les rabbins, cela signifie que, durant l’année sabbatique, nul ne peut se comporter en propriétaire: tous profitent également des produits de la terre.

– Une égalité qui ne se vit que tous les sept ans. Il ne s’agit donc pas de supprimer la propriété mais de la vivre en respectant la terre et en se souciant des plus démunis: l’année sabbatique donne une orientation à l’organisation sociale, sans proposer un autre modèle. Elle nous rappelle que la terre est prêtée aux humains, qu’elle ne doit pas être épuisée et qu’elle doit profiter à tous.

– Le mot hébreu qui désigne la vigne non taillée est à rapprocher du mot «nazir», ces gens qui se consacraient à Dieu pour un temps, ne se coupaient plus les cheveux et s’abstenaient de consommer du raisin (cf. Nombres 6).

– C’est vrai que la tête d’un nazir devait ressembler à une vigne aux sarments bien emmêlés! Le mot nazir exprime autant la consécration à Dieu que l’abstinence volontaire.

– S’abstenir de consommer du blé ou du raisin, laisser la terre en repos, suspendre les droits de propriété pendant cette année sabbatique… tout cela nous incite à réfléchir à notre mode de vie actuel.

– C’est comme une pause dans la course à la croissance, la consommation effrénée, la privatisation des ressources et l’envie de dominer le monde. Tout appartient finalement à Dieu et nous en sommes des bénéficiaires et des gérants.

– Une écologie avant la lettre… qui nous ramène à une forme de simplicité et à la conscience de notre interdépendance. Une leçon d’humilité et de solidarité en quelque sorte.

– Cela redonne aussi sa valeur au pain, au vin et à toutes les ressources dont nous vivons au quotidien. Une leçon de reconnaissance et de gratitude!

– Je ne sais pas quand tombe cette septième année… mais il est peut-être temps de la vivre dès maintenant.