Des femmes parmi les libres-penseurs. Vous avez un problème avec ça?
, RNS/Protestinter
Image: Logo de la troisième conférence «femmes dans la laïcité». DR
Les organisations de libres-penseurs ont-elles un problème de sexisme? C’est pour répondre à cette question qu’il y a deux ans, avait été organisé le colloque «femmes dans la laïcité». Et cette question a été pour la troisième fois au cœur des débats, le week-end du 16 au 18 mai à Alexandria dans l’Etat de Virginie (USA).
«Je ne pense pas que beaucoup de choses aient changé», a déclaré avant la conférence Melody Hensley directrice générale de la section de Washington du Center For Inquiry, l’organisation humaniste qui met sur pied cet événement. «Je pense que les positions sont très tranchées au sein de la communauté laïc»
Melody Hensley, militante féministe et séculariste de longue date, parle d’expérience. Il y a environ 18 mois, on lui a diagnostiqué un stress post-traumatique après qu’elle a été victime d’une campagne d’attaques en lignes et sur les médias sociaux incluant des menaces de viol, meurtre et des photos de femmes démembrées.
Elargissement contesté des combatsElle pense que plusieurs de ses harceleurs sont des hommes de la communauté séculariste. Ils se sentent menacés par l’élargissement des combats menés par le mouvement laïc. Ils veulent faire taire des militants comme Melody Hensley qui, aux piliers que sont la liberté de conscience et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, veulent adjoindre des causes comme la justice sociale, l’égalité économique et le racisme. Beaucoup dans le mouvement, tant hommes que femmes, pensent que ces dernières ne sont pas des causes en lien avec la laïcité.
«Face à un Etat qui tente de faire fermer les cliniques où se pratiquent les avortements et qui parle de limiter la couverture de la contraception, l’athéisme n’est pas la question la plus importante», avait rappelé Debbie Goddard, directrice du mouvement afro-Américain pour l’humanisme, invitée lors d’une précédente conférence. «Ces questions sont souvent les chevaux de bataille de groupes religieux conservateurs et cela doit préoccuper les non-croyants. Si nous ne défendons pas une laïcité qui se préoccupe de ces questions, alors nous ne défendons pas la laïcité!»
Le scandale de l’ascenseur«Femmes dans la laïcité» a été organisé pour la première fois après qu’un scandale a secoué la communauté en 2011. Les militants en parlent aujourd’hui comme de l’«elevator-gate». Cela a commencé lorsque Rebecca Watson, une jeune militante athée, s’est plainte sur son blog Skepchick d’avances non désirées dans un ascenseur lors d’un congrès athée. Sa publication a suscité des dizaines de commentaires de femmes qui déclaraient qu’elles aussi étaient mal à l’aise lors des rencontres athées. Mais le texte de Rebecca Watson a aussi déclenché des dénigrements en chaîne de la part d’homme et en particulier de Richard Dawkins, probablement le plus réputé des athées sur la scène mondiale.
«Arrêtez de vous plaindre», a plaisanté Richard Dawkins dans un commentaire. Beaucoup de non-croyants, pas seulement des femmes, y ont vu une tentative de faire taire les femmes. Une année après ce scandale, la première conférence «Femme dans la laïcité» a eu lieu. Rebecca Watson était l’une des orateurs de cette conférence.
Quelques améliorationsDepuis, les choses se sont améliorées, selon plusieurs activistes. D’abord, les femmes sont désormais autant que les hommes à occuper des fonctions dirigeantes au sein des principales organisations laïques. En 2012, la lobbyiste Edwina Rogers a été nommée directrice générale de la Secular Coalition, une fédération basée à Washington et qui regroupe les principales organisations athées et humanistes. Il y a également des femmes au sommet ou proches du sommet de la hiérarchie de fondations telles que Freedom From Religion (Libération de la religion) ou the Richard Dawkins Foundation for Reason and Science.
Les militants considèrent aussi que l’adjonction formelle de règles anti-harcèlement lors des principales conférences est un point positif. Beaucoup, principalement des hommes, craignaient que ces règles interfèrent avec la liberté d’expression – le veau d’or des libres-penseurs, mais ces nouvelles directives font maintenant partie des habitudes.
Enfin, davantage d’oratrices sont invitées aux principales rencontres et colloques. Les femmes représentaient environ la moitié des personnes invitées à prendre la parole lors de la récente convention American Atheist à Salt Lake City. Et une large part de femmes figure sur la liste des orateurs de la conférence nationale de l’American Humanist Association qui se déroulera le mois prochain.
Les antiféministes se retrouvent sur le webLa véritable hostilité à l’encontre des femmes dans le mouvement laïc semble s’être déplacée sur internet, comme le prouve l’expérience de Melody Hensley. Adam Lee, qui blog pour Daylight Atheism, a récemment consacré une publication au problème des athées avec les défenseurs des droits masculins qui se retrouvent en ligne. Un récent sondage avait montré que la large majorité des plus de 90’000 adhérents au groupe de défense des droits masculins sur Reddit – un site web communautaire – se déclaraient athées ou sans religion. Il y a un socle d’antiféministes dans la communauté laïque et malgré que le mouvement dans son ensemble s’en distancie, ils ne sont pas prêts à se taire. Et s’ils le veulent, ils peuvent pourrir la vie de femmes en les harcelant», explique Adam Lee.
Alors que peut faire la communauté séculière pour combattre le racisme dans ses propres rangs? Pour Melody Hensley, il faudrait encourager davantage de femmes à participer aux conférences laïques. Les hommes y sont toujours majoritaires. Debbie Goddard pense que l’ordre du jour du mouvement doit être élargi: «Nous avons tendance à penser que ce type de problèmes sont marginaux par rapport à nos combats. Mais si l’on nomme davantage de femmes aux postes de direction, si l’on entend davantage de voix de femmes lors des conférences et si on les écoute, alors je pense que ce que nous qualifions aujourd’hui de question des femmes sera bientôt vu comme des choses auxquelles le mouvement laïque doit s’intéresser.»