Les chefs religieux face au cannabis

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Les chefs religieux face au cannabis

10 février 2014
New York (RNS – Protestinter) L’opinion publique a évolué par rapport à la légalisation de la marijuana. Les dirigeants des églises s’interrogent sur la position à adopter, en tenant compte de la surpopulation carcérale et de la moralité.

Par Sarah Pulliam Bailey

Une enquête du Public religion research institute, une organisation américaine dédiée à la recherche et l’éducation, révèle que parmi les protestants, 58% des blancs et 54% des Afro-Américains sont favorables à la légalisation du cannabis. Parallèlement, sept évangéliques blancs sur dix s’y opposent. Les catholiques semblent être le groupe de chrétiens le plus divisé sur ce sujet: 48% d’entre eux soutiennent la proposition alors que 50% la rejette.

Au niveau des dirigeants des églises, leur position est diversifiée. Les pasteurs, les théologiens et les intervenants religieux sont au centre d’un débat: comment respecter les conceptions traditionnelles du péché et de la moralité face à un changement rapide de l’opinion publique sur le cannabis?

Mark DeMoss, le porte-parole de plusieurs évangéliques renommés, dont Franklin Graham et le chanteur chrétien Steve Green, admet avoir une position qui pourrait ne pas être soutenue par la plupart des responsables.

«Environ 50% des places en prison sont occupées par des délinquants non-violents. Parallèlement, nous avons des problèmes de surpopulation carcérale qui engendrent des réductions de peines pour des meurtriers. Face à cette situation, je ne suis pas favorable à l’emprisonnement pour possession de marijuana», explique Mark DeMoss. «Je ne soutiens pas une consommation libre et effrénée de cannabis mais je ne pense pas que ce soit le plus sérieux problème des Etats-Unis».

«L’abus d’alcool, ajout-t-il, est bien plus problématique. Une position qu’a soutenu, d’ailleurs, le président Obama dans The New Yorker».

Un conflit entre cannabis et moralité

Mais la plupart des pasteurs ne soutiennent pas les mêmes idées que Mark DeMoss. Pourtant, peu d’entre eux ont donné leur opinion sur ce sujet.

«Si un pasteur soutient ce genre de propos, certaines personnes vont avoir l’impression qu’il se compromet sur des questions morales. Ainsi, aucun d’entre eux ne veut prendre ce risque. Moi-même, je ne suis pas favorable au cannabis mais je pense que nous devrions définir à quel point c’est une priorité, ou pas», précise le porte-parole.

Les Etats du Colorado et de Washington ont approuvé l’utilisation récréative de cannabis pour les adultes, lors d’une votation en 2012. Même le gouverneur du Texas, Rick Perry, qui a été soutenu par les évangéliques durant la course à la présidence en 2012, s’est positionnée en faveur de la décriminalisation de la marijuana.

Des pénalisations disproportionnées

«Les lois qui régissent l’utilisation de cannabis ont des effets disproportionnés sur les minorités», constate le révérend Samuel Rodriguez, président de la Conférence nationale des leaders chrétiens hispaniques. «Ils y a des programmes communautaires qui pourraient être bien plus bénéfiques aux jeunes qu’un emprisonnement», ajoute-t-il. «Beaucoup de vie d’Afro-Américains sont détruites à cause des incarcérations».

Selon le dernier sondage du Pew Reasearch Center réalisé en 2013, 52% des personnes interrogées sont favorables à la légalisation de la consommation de cannabis et 45% qui s’y opposent. Parmi les adultes, nés après 1980, 65% d’entre eux soutiennent cette idée alors qu’ils étaient que 36% en 2008.

«La majorité des chrétiens sont encore réticents car les effets de la marijuana ne sont pas très différents de ceux de l’abus d’alcool et la Bible interdit d’être ivre», explique Samuel Rodriguez. «La marijuana affecte la raison et le comportement».

Qui sont les partisans?

D’un autre côté, certains partisans de la légalisation comparent les chrétiens qui s’y opposent aux évangéliques et fondamentalistes du début du 20e siècle qui soutenaient une interdiction nationale de l’alcool.

«Dans le parti républicain, les personnes favorables pourraient avoir un lien avec le Tea Party, un pari hétéroclite et contestataire», estime Russell Moore, le directeur de la Commission d’éthique et de liberté religieuse de la Convention Baptiste.

«Je pense vraiment qu’il y a eu une coalition entre les partisans de ‘leave us alone’ et les progressistes de Woodstock sur la question de la marijuana», ajoute Russell Moore. «De plus, on remarque une stigmatisation de certains opposants, comme Carrie Nation, qui a mené un combat contre l’alcool à la fin du 19e siècle».

Le gouverneur de New York Andrew Cuomo, a rejoint un groupe en expansion qui a assoupli les restrictions sur le cannabis et qui planifie de permettre un usage limité de cannabis pour les personnes qui sont gravement malades. Certains dirigeants, dont Jim Daly, le président de l’organisation conservative chrétienne, Focus on the Family (http://www.focusonthefamily.com/), concèdent que la marijuana à des vertus thérapeutiques mais ne tolèrent pas l’usage récréatif.

Neuf Etats et le district de Columbia ont adopté une loi qui accepte la consommation de cannabis pour les adultes, selon le Daily Beast. Vingt Etats autorisent son usage médical depuis 1996, alors que seize autres commencent à légaliser la possession de petites quantités.

Néanmoins Russell Moore trouve que l’analogie entre les lois sur l’alcool et le cannabis ne tient pas la route. «L’alcool était déjà omniprésent dans la société américaine avant son interdiction. Ce n’est pas le cas du cannabis», dit-il, en ajoutant qu’il pourrait éventuellement soutenir l’utilisation thérapeutique. «S’il y avait des études démontrant que le cannabis est le meilleur traitement pour certaines maladies et qu’il serait prescrit sur ordonnance comme la morphine et certains psychotropes, je serais d’accord. Mais ce n’est pas le cas, pour le moment, aux Etats-Unis». (lv)