(epd/ProtestInter)

L’Eglise Saint-Michel dans le quartier d’Altdorf à Rasch près de Nuremberg, située sur une colline surplombant la rivière Schwarzach, domine les environs avec sa tour à colombages caractéristique.

La Schäferkapelle (Chapelle des bergers), beaucoup plus ancienne, se trouve à un pas de la paroi nord de l’église. Rasch est de longue date l’église-mère du sud-est de Nuremberg: c’est à partir de ce site qu’ont été érigées les églises de Feucht, Altdorf, Mögeldorf et d’autres encore.

Mais l’église consacrée à la mission et au baptême d’où sont parties au VIIIe siècle des impulsions de christianisation à l’époque de Willibald, l’apôtre des Francs, n’était pas l’Eglise Saint-Michel actuelle, mais la Schäferkapelle. Le pasteur Ulrich Kleinhempel, le dernier à occuper une chaire d’enseignement des religions à l’Université de Bayreuth a trouvé de nombreux indices montrant que la chapelle était déjà en usage à l’ère préchrétienne en tant que lieu de culte dédié au dieu germanique Wotan.

Ainsi, la construction insignifiante, littéralement dissimulée dans l’ombre de l’église paroissiale, serait l’un des plus anciens édifices ecclésiastiques de Franconie. «Elle n’a pas seulement l’air primitive, elle l’est», déclare le pasteur Kleinhempel. La chapelle n’a vraisemblablement survécu à la nouvelle construction du XXIIe siècle que parce qu’elle est trop proche de la pente de la colline: l’Eglise Saint-Michel, beaucoup plus grande, a dû, pour des raisons statiques, être déplacée vers le haut du versant. On a laissé la chapelle à son emplacement d’origine.

Devons-nous vraiment nous imaginer que déjà il y a 1500 ans, des guerriers barbus revêtus de peaux d’ours offraient des sacrifices à leur dieu de la guerre face au clapotis de la Schwarzach? Kleinhempel aligne sept arguments en faveur de cette thèse. Nous connaissons plusieurs exemples de lieux de culte germaniques ou celtiques marquants surplombant des rivières qui ont été repris par des missionnaires chrétiens. Ils ont suivi en cela l’une des consignes du pape Grégoire le Grand qui estimait que plutôt que de jeter par-dessus bord les coutumes des païens, il valait mieux les intégrer sans brusquerie dans le culte chrétien.

Des actes de destruction symboliques, tel l’abattage du chêne de Donar près de Geismar par Boniface n’ont plus eu lieu ultérieurement. Un sanctuaire isolé dédié à Wotan est souvent devenu une église dédiée à Saint-Michel: le Mont Saint-Michel en Normandie et Michelsberg à Heidelberg en sont des exemples connus. Saint-Michel est devenu un patron de la chrétienté occidentale dans le Saint Empire romain germanique. Le «Michel allemand» est une sorte de successeur sécularisé du patron du Moyen-Age.

Contrairement aux chrétiens qui orientaient leurs églises selon une symbolique ouest-est, les Germains privilégiaient l’orientation nord-sud: la façade nord était toute de sobriété, la façade sud en revanche richement décorée, avec des ornements aux fenêtres et au portail d’entrée. C’est le cas à Rasch, où l’on peut encore distinguer le relief de la porte d’origine, murée. De la chapelle, le regard ne se porte pas vers la vallée, mais directement sur l’église voisine.

Les trois fenêtres orientées au sud présentent des signes archaïques que Kleinhempel interprète comme des runes adressées aux divinités germaniques et comme symbole de Wotan (corbeau). Enfin, la Chapelle des bergers, comportant des signes de rituels des bergers, atteste de coutumes préchrétiennes pratiquées pendant de nombreux siècles. L’historien de l’Université d’Altdorf, Georg Andreas Will, a encore rendu compte à la fin du 18e siècle de rencontres de bergers rassemblés pour dire des prières dans cette région.

A relever également que lors de fouilles effectuées dans les années quatre-vingt, on a trouvé des offrandes votives du Moyen-Age en creusant assez profond dans le sol de la chapelle. Il s’agissait surtout de représentations d’animaux comme on en a trouvé ailleurs, notamment dans les chapelles dédiées à Saint-Léonard.

Depuis quelques décennies, la chapelle est utilisée comme chambre mortuaire. Pour le pasteur et spécialiste en science des religions Kleinhempel, en charge de la paroisse de Rasch et de l’enseignement de la religion à Fürth, il s’agit là d’un clin d’œil de l’histoire culturelle. En effet, déjà à l’époque des Germains, Wotan était le guide des morts. (eb)