«Nous ne pouvons pas nous contenter d’une société où les femmes adaptent leurs comportements»
Dans Mes héroïnes, des femmes qui s’engagent, Manon Schick, directrice de la section suisse d’Amnesty International depuis 2011, peint le portrait de onze femmes militantes, rencontrées à travers le monde. Ces parcours de vie illustrent la force remarquable de ces «héroïnes» dans leur lutte pour les droits humains. Des combats que partage Manon Schick depuis son plus jeune âge. Invitée par l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV), cette ancienne journaliste lausannoise expliquera comment leurs engagements l’inspirent dans son travail quotidien, jeudi 18 janvier à 20h, dans le cadre des conférences de Commugny sur le thème «métiers et spiritualité».
À quel niveau se situent encore les plus grandes inégalités entre femmes et hommes en Suisse actuellement?
En Suisse, en termes de visibilité, c’est criant par rapport à la question des salaires. À poste égal, les femmes gagnent toujours moins que les hommes et cette différence se résorbe lentement voire pas du tout. Parallèlement, la représentation des femmes que ce soit en politique ou dans les conseils d’administration des grandes entreprises est encore très largement inférieure à celle de certains pays qui ont le même niveau de vie que le nôtre, comme les pays scandinaves.
Par ailleurs, il y a tout ce qui est invisible: la violence domestique et le harcèlement, notamment sexuel. Ces agressions ont gagné en visibilité aujourd’hui, à la suite de plusieurs campagnes, notamment avec le hashtag #metoo lancé aux États-Unis. Tout d’un coup, on admet que cette violence concerne beaucoup de femmes et qu’elles ont intégré le fait de vivre avec. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une société où les femmes adaptent leurs comportements, n’osent pas sortir le soir ou craignent de se retrouver seules avec un collègue.
Pensez-vous que cette prise de parole publique avec le hashtag #metoo se profile comme un espoir par rapport aux injustices faites aux femmes?
Je ne sais pas si c’est un signe d’espoir pour plus de justice, parce que très peu de ces situations ont conduit à une démarche en justice, mais concrètement cette campagne a initié un changement de mentalité: une prise de conscience de ce qui est acceptable ou ne l’est pas. Espérons que ce mouvement puisse englober d’autres situations d’injustice envers les femmes comme celles que je dénonce dans mon livre. Les femmes dont je fais le portrait dans Mes héroïnes, des femmes qui s’engagent sont victimes de violences institutionnalisées. Par exemple en Iran, des lois vraiment discriminatoires ont été édictées. Dans certains pays, des situations de viols de guerre ont été décidées par des groupes armés ou des responsables militaires et encouragées dans le but d’humilier une population en s’en prenant aux femmes. Ces situations nécessitent des changements légaux. Les responsables doivent être sanctionnés et punis. On doit se battre pour que les femmes aient accès à la protection de leur corps dans leur intégrité physique.
Comment peut-on faire évoluer la situation?
En Suisse, nous avons la possibilité d’agir, de descendre dans la rue, d’écrire aux médias, de nous mobiliser sur les réseaux sociaux sans prendre de trop grands risques. C’est une chance incroyable. Comme le soutenait Eleanor Roosevelt, qui avait dirigé le groupe de rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’homme, la défense des droits humains commence au plus petit niveau, tout près de chez soi. Si on ne se mobilise pas pour que la Suisse soit exemplaire, pour que nos communes prennent en charge les personnes âgées ou accueillent des familles de réfugiés, on ne peut légitimement donner des leçons aux États-Unis, à l’Irak ou à la Corée du Nord.
Vous vous considérez comme féministe, que revendiquez-vous?
Le féminisme est la défense de l’égalité entre les êtres humains. Être féministe signifie se battre pour que les femmes aient les mêmes droits que les hommes. Dans ce sens-là, j’aurais tendance à dire que tout le monde devrait être féministe, aussi bien les hommes que les femmes. Personne ne devrait se contenter d’une société où des personnes se retrouvent privées de leurs droits fondamentaux simplement parce nées «avec le mauvais sexe».
Après l’élection de Donald Trump, les femmes sont descendues dans la rue. Elles se sont rendu compte que ce qu’elles prenaient pour des droits acquis, le respect de leurs droits aux États-Unis, était remis en cause au plus au niveau, par le président. Je pense que cet événement nous a fait prendre conscience que nos droits n’étaient pas une évidence et qu’à tout moment ils pouvaient être remis en cause, quel que soit le pays dans lequel nous vivons.
Avez-vous l’impression que les droits humains sont particulièrement menacés aujourd’hui?
Oui, je pense qu’ils sont extrêmement remis en cause aujourd’hui. Des valeurs, telles que la tolérance ou l’accueil sont aujourd’hui contestées. Il est donc primordial que toutes les personnes qui les défendent se battent et se mobilisent. Ce sont des valeurs universelles et si nous laissons des mouvements de xénophobie, de repli sur soi et de peur prendre le dessus, la société qui s’instaurera ne sera pas celle qui nous voulons.
Vous défendez un idéal de vie. Est-ce en lien avec des convictions spirituelles?
Défendre les droits humains, c’est un peu comme faire partie d’une «secte» (rires). Les valeurs universelles que nous soutenons se retrouvent dans les grandes religions monothéistes. Je viens d’une famille protestante, mais je n’ai pas été baptisée et je ne suis pas croyante. Ce n’est pas la foi qui guide mon engagement. Mais il y a une convergence de vue: défendre les droits fondamentaux signifie s’engager pour des causes avec des personnes qui partagent les mêmes valeurs. C’est très important de savoir que nous ne sommes pas seuls. Si j’étais seule à mener ce combat, j’aurais abandonné depuis longtemps.