En chaire comme sur Facebook, le pasteur peut défendre un point de vue politique
Sur les réseaux sociaux, les appels à refuser l’initiative «No-Billag» de certains pasteurs font débat, et ce malgré que l’Église évangélique réformée vaudoise (EERV) tout comme la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS) appellent également à un refus du texte. Alors les pasteurs sont-ils libres d’exprimer leurs opinions politiques? «Il n’y a pas de règle qui interdise à l’EERV ou à l’un de ses ministres de prendre position sur un sujet politique», tranche Paolo Mariani, responsable de la communication de l’institution. «À plusieurs reprises, lorsque l’Église au nom de l’Évangile défendait une position politique, cela nous a été reproché, soit par des personnes issues du monde politique, soit par des personnes proches des Églises.»
Le même débat agite l’Église protestante allemande depuis que le rédacteur en chef du quotidien «Die Welt» a tweeté depuis la veillée de Noël à laquelle il assistait: «Qui viendra encore de son plein gré assister à un culte de minuit s’il a l’impression, après le sermon, d’avoir passé la soirée chez les jeunes socialistes ou chez les jeunes verts?»
On attend du pasteur qu’il soit conservateur
«Je constate que le plus souvent c’est la prise de parole d'un pasteur exprimant une position située sur la gauche de l’échiquier politique qui pose problème. Cela lui est généralement reproché par un paroissien ou un politicien de droite. Je n’ai pas connaissance de cas où l’inverse s’est produit», note quant à lui Didier Halter, directeur de l’Office protestant de la formation (OPF) qui assume la formation initiale des pasteurs et diacres réformés de Suisse romande. «Les gens qui attendent que le pasteur joue un rôle dans l’espace public, ce sont des personnes plutôt conservatrices. Les gens de gauche n’attendent rien de l’Église. On reproche donc le plus souvent au pasteur de sortir de son rôle de gardien d’une certaine ligne un peu conservatrice.»
Tout chrétien a le devoir de s’exprimer
À l’Église protestante de Genève (EPG), il existe une directive concernant la prise de parole publique. On peut y lire: «l’EPG doit mieux exploiter et relayer les prises de position de la FEPS, de l’Alliance réformée mondiale (ARM), du Conseil œcuménique des Eglises (COE), de la CEVAA et des œuvres d’entraides (EPER - DM Echange et Mission …); par nature, elles sont nuancées et par essence, elles sont le résultat d’un consensus entre les diverses Églises. La sauvegarde de la Création est par exemple un thème de nature politique, sur lequel la FEPS prend position. L’EPG en relaie les contenus lorsqu’elle l’estime adéquat. Lorsqu’elle l’estime nécessaire, elle peut jouer le rôle d’aiguillon, afin d’initier par l’intermédiaire de la Conférence des Églises romandes (CER) une prise de position de la FEPS.»
À l’échelle cantonale, «l’EPG doit témoigner de l’Évangile et faire valoir ses valeurs démocratiques, sociales et éthiques. Sans donner de consigne de vote, l’Église peut, selon le sujet, éclairer le débat et inciter chacun à aller voter et à assumer ainsi ses responsabilités de citoyen, mais aussi celles de protestant. L’action politique de l’Église peut également se manifester sous forme de lettres, ou d’une lettre ouverte aux autorités politiques ou judiciaires du canton.» Un autre texte précise: «tout chrétien a le droit et le devoir de s’exprimer. Cependant: les prises de paroles à titre personnel devront être formulées en “je”; pour les prises de paroles d’entités (paroisse, ministère cantonal, service, etc.), ces dernières veilleront à bien préciser leur identité, afin de ne pas engager formellement l’EPG.»
Pas de position personnelle en chaire
De manière générale, mis à part le devoir pour les ministres d’annoncer voire d’obtenir l’autorisation de sa hiérarchie avant de briguer un mandat électif, rien ne figure dans les différents règlements des Églises réformées cantonales. «Par contre, il y a des règles déontologiques. Un pasteur ne doit pas défendre une position personnelle en chaire ou dans une autre prise de parole publique où il intervient en tant que ministre», prévient Didier Halter.
«Durant mes études, mes professeurs nous disaient que chaque fois que l’on ouvre la bouche c’est politique. Lorsque je parle de la misère ou de l’expulsion des étrangers, c’est politique», rétorque Paolo Mariani. Deux thèmes qui sont effectivement présents dans la Bible et se retrouvent donc régulièrement au cœur de prédications dominicales.
«La limite entre défendre une position personnelle et prêcher sur un texte biblique est confiée au discernement personnel», reconnaît Didier Halter. «Personnellement si je prêche sur un thème qui peut revêtir une dimension politique, je m’efforce de m’appuyer sur une prise de position officielle d’une autorité ecclésiale telle que la FEPS ou l’Entraide protestante (EPER). Cela m’était notamment arrivé quand j’ai défendu le partenariat enregistré pour couples de même sexe. Cela ne calme pas les râleurs, mais moi cela m’assure d’être dans une autorité autre que mon avis personnel.» D’ailleurs durant leur formation, les jeunes ministres reçoivent un conseil similaire. «On rappelle aux stagiaires qu’ils doivent prendre un moment de discernement pour faire la part des choses entre fidélité au message de l’Évangile et sauvegarde de l’unité de la communauté qui leur est confiée. Et ce que nous leur conseillons c’est de ne pas faire ce discernement seul.»
Génération désintéressée par l’Évangile politique
Didier Halter constate toutefois que la question perd de son importance pour les ministres de la nouvelle génération. «Que l’Évangile ait une dimension politique, qu’il joue un rôle dans la vie publique, ils ne sont pas contre, mais cela les intéresse peu. Ils sont plus attachés aux questions de spiritualité individuelle. Alors j’essaie de les sensibiliser au rôle de l’Évangile dans la société.»