«Je ne cèderai pas devant le Noël païen»
Pasteur de la Collégiale de Neuchâtel, Florian Schubert se réjouit d’y célébrer une nouvelle fois la veillée de Noël. Face à la sécularisation et récupération commerciale de cette fête aux antipodes de sa source, il juge nécessaire de redire avec force le sens de cette espérance chrétienne renouvelée à Noël. Interview.
Comment abordez-vous ce culte si particulier?
Ce n’est en effet pas un culte comme les autres, il y a vraiment une tradition qui perdure autour de Noël. C’est d’ailleurs le culte le plus fréquenté de l’année. La Collégiale est pleine, il y a parfois des gens debout à l’arrière. Le public est très jeune, il y a beaucoup de familles. Je trouve qu’il y a là quelque chose de magique: chacun a fêté chez soi avec les siens, et puis on se retrouve à l’église pour célébrer tous ensemble.
Que célèbre-t-on alors?
On célèbre la particularité chrétienne d’un Dieu qui vient vers nous. Un Dieu qui se révèle dans la faiblesse humaine.
Comment redire quelque chose de neuf à chaque fois?
Tout est déjà dans le texte biblique. Tout le vécu humain réside déjà dans le récit de Noël: l’exclusion, la pauvreté, la peur, la nuit… Et en même temps, la naissance, la joie, le vivre-ensemble… Ce récit est toujours incroyablement actuel. Il vient nous dire qu’au milieu de la nuit, l’espérance renaît.
Quelle est précisément cette espérance?
Pour nous chrétiens, il s’agit de la présence de Dieu au cœur de nos vies. Un Dieu qui se révèle dans un tout petit être qui n’a de force visible que son amour. Il n’a pas d’attributs de force et de puissance et pourtant, il vient répondre à la grande problématique qui habite tout être humain: est-ce que je suis aimé? Alors que tout semble noir et perdu, cette affirmation que l’on est aimé par Dieu vient renverser nos certitudes. On change de perspective.
Comment cela?
Noël arrive dans un monde qui va profondément mal. La Judée est occupée militairement par les Romains et les injustices sociales sont légion. Et au milieu de tout ça, une naissance que l’on n’attendait pas vient nous rappeler que Dieu est là. Ce qui est lourd n’a pas disparu, mais le mal perd son pouvoir de tout écraser et de détruire la vie et la joie. C’est pour cela que je ne cèderai pas devant le Noël païen. A la limite, je veux bien être remplacé par une fête qui a du panache, mais pas par cette espèce de sous-produit commercial.
Que lui reprochez-vous?
Le Noël païen nous étourdit. En gros, il nous dit: «Le monde va mal mais ce n’est pas grave. Faisons la fête!» Or on danse sur un monde en ruines. Pour moi, c’est cela l’opium du peuple. On se perd une fois de plus dans ce qui nous fait déjà tourner en rond: la surconsommation, les apparences, les faux-semblants… Il faut le dire, le Père Noël récompense à la manière du monde: il fait de grands cadeaux aux enfants riches et des tout petits aux enfants pauvres. On Suisse, un sixième des enfants vit sous le seuil de la pauvreté.
Que répond le Noël chrétien?
Le récit de Noël est frontal par rapport à ça. Il appelle au contraire à diviniser justement le plus faible, le plus pauvre, la famille la plus vulnérable qui n’a même pas pu trouver une place dans l’auberge. Comme l’exprime Marie dans le Magnificat (cantique de la vierge Marie, ndlr.), «il a renversé les puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles».
En tant que pasteur, comment vivez-vous le fait que Noël soit vidé de son sens?
Je le vis douloureusement et je trouve cela assez terrible, car cela détruit la force de cette fête. Noël est chargé culturellement de sentiments positifs: l’amour, le partage, la fraternité, la joie d’être ensemble… C’est le récit biblique qui a chargé cette fête de ces aspects-là, mais c’est vraiment comme un stock qui se vide. Aujourd’hui, Noël est progressivement remplacé par une fête qui, comme tant d’autres, est une fête d’étalage de sa propre puissance, nous faisant également entrer dans une concurrence malsaine. Qui a fait la plus belle fête, la plus «instagramable»? Pour moi, il y a urgence à revenir au sens profond de Noël.
Précisément, comment réenchanter Noël alors?
En relisant tout simplement l’épisode de la naissance de Jésus dans l’Evangile de Luc. En se mettant à l’écoute du texte et en le laissant résonner en nous. Je suis convaincu qu’il y a un mécanisme qui fait qu’on devient ce qu’on adore. SI on adore des choses qui sont mortes – comme le pouvoir, la réussite ou l’argent –, cela finit par nous détruire car l’humain n’est pas fait pour ça. Or, en adorant Dieu, ce Dieu qui s’est fait homme, cela nous humanise. Et nous rend par là-même notre dignité.