Noël: la foi chrétienne comme terrain d’entente
Longtemps opposées sur l’échiquier politique vaudois, les voilà réunies pour Noël autour de leur foi (presque) commune. Ada Marra, ex-conseillère nationale (PS) de 2007 à 2023, suit désormais une formation pour devenir aumônière dans le milieu de la santé. Laurence Cretegny, quant à elle, siège au Grand Conseil (PLR) depuis 2012 et a été élue conseillère synodale de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) en juin dernier.
Quotidiennement animées par les enseignements du Christ, elles s’apprêtent à célébrer sa naissance avec une ferveur assumée, teintée d’une délicate pudeur. A la veille de Noël, elles livrent donc un regard intime et engagé sur une fête qu’elles espèrent rassembleuse – malgré les dissensions politiques et religieuses qui embrasent le monde – et adressent un message d’unité au-delà des frontières partisanes. Rencontre.
Que représente Noël dans votre vie et comment le fêterez-vous cette année?
L.C.: Chaque année, Noël est pour moi un moment de renouveau où je peux me recentrer sur ma foi. A Noël, j’ai l’occasion de me demander: qu’est-ce que tout cela représente pour moi, et où en suis-je? Cette année, je fêterai Noël en famille le 25 décembre, et la veille au soir j’assisterai à un culte. Peut-être à la cathédrale ou à l’église Saint-François, qui sont des «lieux-phares» dont je suis la référente en tant que conseillère synodale, ou peut-être dans une des paroisses de ma région.
A.M.: Noël est une fête que j’ai toujours adorée. Noël, c’est le cœur, la chaleur, le bonheur de l’instant. J’ai un rapport très enfantin à cette fête, très nostalgique, mais dans le bon sens. J’ai toujours fêté Noël en Suisse ou en Italie, où cela prend encore une autre dimension. Les crèches, par exemple, sont bien plus présentes. Cette année, je serai avec mon mari et nous irons ensemble à la messe de minuit.
Noël a-t-il encore sa place dans une Suisse désormais multiculturelle?
L.C.: Je peux entendre que tout le monde n’y adhère pas forcément. Mais nous devons garantir sa place à Noël, d’autant que certains tentent parfois un peu de l’effacer en faisant simplement de Noël une fête de plus dans le grand catalogue commercial des festivités annuelles. Pour autant, si nous sommes honnêtes avec notre foi chrétienne, défendre la place de Noël est essentiel. Comment ne pas fêter la naissance de celui en qui nous croyons?
A.M.: Je n’ai pas l’impression que des personnes tentent vraiment de cacher Noël… Qu’on soit athée, chrétien, musulman ou juif, Noël ne se rate pas, non? D’ailleurs beaucoup de gens fêtent Noël sans forcément y ajouter la part théologique et spirituelle. Pour autant, célébrer Noël même sans crèche participe tout de même à perpétuer l’idée qu’il s’est passé un événement que tout le monde connaît. Je ne me sens pas ostracisée comme chrétienne en Suisse. C’est à nous de vivre pleinement Noël tout en laissant à chacun la chance d’y trouver sa place.
Malgré la sécularisation, qu’est-ce que Noël peut encore apporter?
A.M.: En tout cas un peu de joie. Pour cela, il ne s'agit pas forcément de proclamer à qui veut l’entendre que Jésus est le Fils de Dieu, mais plutôt de raconter le récit de Noël. Celui-ci reste un point de convergence pour beaucoup: la Nativité se déroule dans un contexte de pauvreté et de vulnérabilité, et porte malgré cela un message d’espoir, et de chaleur qui peut toucher et interpeller chacun. Même si, au vu de ce qui se passe en Palestine et en Israël, cela est presque inaudible.
L.C.: Noël doit redonner un espoir à chacun, en effet. Quand on est dans la difficulté et qu’on peut se rattacher à quelque chose, à un partage, à un événement commun, c’est magnifique et cela aide. A Noël, les gens sont toujours un peu plus généreux, font plus attention à ceux et celles qui vivent dans la rue… C’est à cette période qu’on est capable de rejoindre l’autre.
L’une de vous deux est devenue conseillère synodale, l’autre sera bientôt aumônière. Ces évolutions professionnelles témoignent-elles d’une affirmation de votre foi?
A.M.: Oui, car c’est une manière de me mettre service des autres. Cela traduit une maturité personnelle et spirituelle. J’ai profondément ressenti le besoin d’agir, de transformer ma foi en actes. Mon lieu d’action a toujours été la société, où je peux vivre cette foi de façon sincère et complète.
L.C.: Oui, travailler à l’Exécutif de mon Eglise, c’est une affirmation de ma foi. Quand on fait partie d’un conseil de paroisse, le travail est régional, l’engagement très local. Devenir conseillère synodale implique notamment de partager mon engagement et de faire connaître celui-ci publiquement à une plus grande échelle. Cela n’était pas forcément évident au départ mais me paraît tellement naturel aujourd’hui. J’ai d’ailleurs presque ressenti une forme de soulagement. Une bouffée d’air en tout cas.
Qui est Jésus pour vous deux et quelle différence cette relation opère-t-elle dans votre vie?
L.C.: C’est mon chemin. Il me montre une direction dans mes rapports humains, me fait grandir. Quand j’éprouve une difficulté, le moment de recueillement que je peux vivre est tourné vers lui, et me permet bien souvent de pouvoir me recentrer.
A.M.: Jésus, c’est Dieu qui s’est fait homme. Il me donne la force de dire aux autres que personne n’est seul. Et cela change le monde de le savoir.
A vos yeux, est-il besoin en Suisse de défendre cette identité chrétienne?
L.C.: Je n’aime pas l’idée de la défendre. Je dirais plutôt qu’il faut affirmer notre place: on doit continuer à montrer que nous sommes présents dans la société. Et force est de constater qu’une grande variété de chrétiens existent encore en Suisse, qu’il s’agisse des catholiques, des réformés, ou de toutes autres confessions évangéliques. Il est question, donc, d’entretenir notre christianisme. Concrètement, cela suppose d’oser dire que nous sommes croyants.
A.M.: Beaucoup de gens en veulent beaucoup aux Eglises, notamment à cause des scandales d’abus sexuels ou d’emprise, et c’est évidemment légitime. Qu’on le veuille ou non, il nous faut donc, actuellement, faire preuve d’une forme d’humilité en tant que chrétiens. Acceptons que dans les prochaines années, on s’en ramasse encore plein la figure à cause de la révélation des problèmes structurels de nos institutions religieuses. D’ailleurs, nous n’avons pas à défendre les Eglises, le christianisme ou une identité chrétienne. Nous avons à défendre l’amour de notre prochain.
Comment éviter que le christianisme devienne un outil de division politique, comme en France?
A.M.: Le catholicisme identitaire, comme on peut en voir actuellement des expressions en France mais aussi en Suisse, me choque, m’inquiète et me révolte. Il s’agit d’une instrumentalisation de la religion chrétienne, une lecture qui n’est évidemment pas du tout la mienne. Je souscris au projet du Pape François pour un catholicisme moins clérical et hiérarchisant.
L.C.: Lorsque les religions sont instrumentalisées pour créer de la division, je trouve cela déplorable. Depuis la nuit des temps, on n’arrive pas à s’en sortir, cela se répète. La clé est peut-être de dépasser nos identités dans une idée de vivre-ensemble… Mais je conçois que cela est bien plus facile à dire qu’à faire!
L’œcuménisme a-t-il encore un rôle à jouer aujourd’hui?
A.M.: L’œcuménisme entre protestants et catholiques est dépassé. Je crois à quelque chose de plus large, et qui se vit sur le terrain. Il m’est arrivé de prier avec des gens qui n’étaient pas chrétiens, de discuter de religion avec des personnes athées. La clé n’est pas tant la théologie, mais plutôt l’action.
L.C.: Pour moi aussi, il faut une vision large de l’œcuménisme. On peut parler des religions établies, qu’on a l’habitude d’entendre, mais le monde est plus large que ça. Il y a presque autant de croyances que de personnes. Parlons-nous, parlons à tout le monde.
Que souhaitez-vous aux Romands pour 2025?
A.M.: Dans un monde difficile, regardez la force et la joie qui émanent de la jeunesse. Les jeunes ne sont pas encore abattus par la vie: ils sont porteurs d’espoirs.
L.C.: Beaucoup de personnes ne peuvent pas s’abriter, subissent la faim, la guerre, et il est très difficile d’assister à tout cela depuis la Suisse. Toutefois, réparer l’horreur du monde n’est pas en notre pouvoir. Alors gardons tout de même confiance en quelque chose de plus grand, qui puisse nous dépasser et permettre l’espoir en des jours meilleurs. Et puis surtout: joyeux Noël!