Esclavage et christianisme: une histoire ambigüe
«Pourquoi les chrétiens ont-ils tant tardé à condamner l’esclavage», s'interroge le professeur d’histoire du christianisme Michel Grandjean. La troisième édition du Festival histoire et cité, qui s’est déroulée du 21 au 24 mars à Genève, a abordé la question de la liberté. Parmi les différents débats, conférences et événements consacrés à cette thématique, une table ronde a réuni plusieurs spécialistes autour de la position ambiguë qu’a entretenue le christianisme avec l’esclavage.
Pour comprendre ces liens délicats, le professeur de Nouveau Testament Simon Butticaz propose un retour aux Écritures. Si les textes du Nouveau Testament qui thématisent explicitement la question de l’esclavage sont peu nombreux, plusieurs références se trouvent dans les lettres de Paul (notamment Ga 3,28; 1 Co 7, 20-21; Phm 8-16). Dans l’épître à Philémon, Paul propose d’accueillir l’esclave Onésime comme «un frère bien-aimé». «Mais que signifie aimer un esclave: le traiter pas trop durement? Valoriser ses compétences? L’affranchir? Paul n’y répond jamais», interroge le professeur.
Selon Olivier Grenouilleau, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de l’histoire de l’esclavage, cette pratique «serait apparue au néolithique, donc bien avant le christianisme. Et elle n’est jamais allée soi. Les hommes ont tenté pendant des millénaires de s’accommoder de quelque chose qui provoquait un malaise».
Amour, égalité... et asservissement?
«La société de l’Empire au Ier siècle comptait entre 25% à 30% d’esclaves», souligne Simon Butticaz. Mais comment une religion qui prône des valeurs d’amour et d’égalité a-t-elle pu accepter pareil traitement? Plusieurs considérations sociologiques permettent de comprendre le silence des premiers chrétiens: «Les communautés de croyants étaient toutes petites, tuant toute volonté d’insurrection. De plus, ces premières générations avaient la conviction que la fin de l’histoire était proche et que Dieu allait triompher sur le mal. L’urgence était donc dans l’attente de la nouvelle création. Et finalement, le mouvement de Jésus s’inscrit dans la continuité du judaïsme ancien qui pratiquait en partie l’esclavagisme», ajoute le professeur de Nouveau Testament.
Au niveau théologique, Paul introduit dans l’épître aux Galates (3, 28), «l’identité baptismale qui apparaît comme une sorte de méta-identité faisant céder le pouvoir de séparation et de stigmatisation. Ce n’est donc pas le fait d’être affranchi ou non qui va conditionner la réception de la grâce».
«Il n’y a pas de doctrine précise sur l’esclavage, c’est un sujet gênant. Parfois, on le condamne, parfois on le justifie. Certains chrétiens le dénoncent et d’autres le pratiquent», ajoute Paul Chopelin, maître de conférence en histoire moderne à l’Université de Lyon. De même que «les mouvements abolitionnistes qui apparaissent à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle sont portés par des morales religieuses tout comme profanes», souligne Olivier Grenouilleau.
Deux figures chrétiennes notables se sont engagées dans les mouvements abolitionnistes à la fin du XVIIIe siècle: le théologien protestant romand Benjamin-Sigismond Frossard et le prêtre français, l’Abbé Grégoire. «On a mis trop de temps, mais on a aboli l’esclavage de façon formelle. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de façon cachée et que de nouvelles formes se développent», relève toutefois Olivier Grenouilleau.