Ces formations à l’islam qui questionnent la laïcité
Dix imams suivent actuellement le semestre consacré «aux principes fondamentaux permettant de comprendre la société civile suisse», cofinancée par l’Etat et l’Université de Genève, et lancée à la rentrée 2017 par la Faculté de théologie. Le député Pierre Gauthier, président du Parti radical de gauche (Liste pour Genève), qui s’était insurgé contre le projet, persiste et signe: «Cette formation contrevient au principe de laïcité. Et puis, pourquoi pour les imams et pas d’autres confessions? Que je sache, on ne demande pas aux hindous ou aux intégristes d’Ecône de suivre une formation sur les préceptes de la démocratie helvétique. C’est donc que l’islam poserait des problèmes particuliers?»
La laïcité en question
Pour le député, la démarche «sert juste à se donner bonne conscience pour ne pas régler un problème de sécurité publique». A savoir, «la mainmise des organisations salafistes sur les mosquées de Suisse», dit-il en évoquant l’enquête récente de Saïda Keller-Messahli, "Islamistische Drehscheibe Schweiz. Ein Blick hinter die Kulissen der Moscheen" (NZZ Libro, 2017).
La Zurichoise, présidente du Forum pour un islam progressiste, dénonce l’influence de courants extrêmes sur de nombreuses mosquées du pays. Un argument que réfute François Dermange, professeur d’éthique chargé de la formation. «Ce cours vise à faciliter l’intégration des imams et de leurs fidèles pour qu’ils comprennent justement que ce qui fait la cohésion de la Suisse, c’est l’attachement à ses institutions. L’islam est beaucoup plus dangereux s’il reste inculte. A chaque fois que la religion a été dangereuse, l’Etat s’en est mêlé, comme au sortir des guerres de Religions. Et oui, insiste le professeur Dermange, l’islam peut être dangereux pour ceux qui le pratiquent comme pour nous, s’il se vit en marge de la société.»
Par ailleurs, dit-il, «la laïcité ne doit pas être comprise de manière jacobine. En créant le concept de laïcité, Ferdinand Buisson n’entendait pas la substituer à la religion, mais dire que l’Etat devait être garant d’une pluralité des positions religieuses au sein de la société. Il se montrait ainsi protestant libéral.»
Initiatives cantonales
Entre tenants d’une laïcité pure et dure, méfiance envers des adeptes rigoristes d’une religion venue d’ailleurs et volonté d’intégrer ses membres (à l’automne, le président du PS Christian Levrat plaidait pour la reconnaissance officielle de l’islam), toute démarche initiée ou validée par les autorités est synonyme de crispations.
Pourtant, les initiatives se multiplient. Fin février, le Département de la justice du canton de Zurich annonçait le lancement d’un «projet pilote au plan national» de financement d’aumôniers musulmans – qui ne sont pas forcément des imams. La formation a été confiée au Centre Suisse Islam et Société de Fribourg, en liaison avec des faîtières musulmanes. Une démarche que Saïda Keller-Mehssali juge avec méfiance : elle souhaiterait que les aumôniers «soient formés par des personnes totalement indépendantes». Dans le même temps, le secrétaire d’Etat aux migrations (SEM) jugeait «positif» le projet – une première là aussi – d’aumôniers musulmans mené depuis juillet 2016 au centre pour requérants d’asile de la Confédération à Zurich, «en étroite collaboration avec les Eglises nationales catholique et protestante et la Fédération suisse des communautés israélites». Le but: «proposer une formation en Suisse axée sur l’aumônerie, le rapport entre l’Eglise et l’Etat ainsi que le dialogue inter-religieux.»
Formation nationale
A la rentrée encore, l’Université de Berne ouvrait sa formation continue en aumônerie à d’autres courants que le christianisme. Non sans précautions: la professeure en psychologie des religions et pasteure Isabelle Noth a sollicité l’Institut de clinique psychologique pour évaluer les postulants. «Nous avons mis en place un ‘assessment’ fait de tests sur l’ordinateur, de jeux de rôles, etc.» Finalement, sur les 18 places, 12 participants ont été retenus, dont plus de la moitié sont de confession musulmane.
La responsable se refuse à en dire plus sur ceux dont les profils n’ont pas été jugés compatibles. «Il était essentiel pour moi que les confessions soient mélangées, d’abord parce qu’elles vont devoir travailler ensemble dans les hôpitaux ou les prisons, et parce que la diversité exerce une bonne influence sur l’ouverture d’esprit.» Isabelle Noth salue le projet du CSIS, ouvert en 2016, mais indique avoir «des doutes quant au fait qu’il soit dirigé par un théologien catholique allemand [Hansjörg Schmid, ndlr]. Il y aurait besoin d’un directeur musulman qui connaît bien la spécificité de la société suisse. Certes, le codirecteur [le professeur d’études islamiques Amir Dziri, Turc formé en Allemagne] est musulman, c’est un pas dans la bonne direction, mais c’est désolant de voir à quel point les choses prennent du temps.» Et de plaider pour une formation sur le plan helvétique, «comme il en existe déjà en Allemagne par exemple». François Dermange renchérit. «Il faudrait pouvoir y réfléchir au niveau national. Et même européen.»