les influences de la théologie de Martin Luther King
Montgomery, Albany, Birmingham, Selma, Washington D.C. — James Cone énumère les sites des principales confrontations de Martin Luther King avec le racisme comme l’on énumère les stations d’un chemin de croix. Et finalement, il y a eu Memphis, où le théologien a été assassiné il y a 50 ans.
«Chacune de ces crises ont influencé la théologie de Martin Luther King se laissant toucher par les besoins des personnes avec qui et pour qui il luttait», continue James Cone. «Sa théologie n’était pas permanente ou statique, mais dynamique. Elle se manifestait toujours en fonction des circonstances historiques dans lesquelles il était engagé.»
La théologie de Martin Luther King ne s’est pas faite en un jour et n’était pas une simple actualisation de la pensée d’un autre. Elle s’est développée sur plusieurs années et a puisé dans diverses sources telles que le transcendantalisme, Gandhi et un soupçon d’écrits théologiques tant passés que contemporains au pasteur.
Questions de jeunesse
Le père, le grand-père et l’arrière-grand-père de Martin Luther King étaient tous prédicateurs baptistes. Ils enseignaient une vision orthodoxe des doctrines chrétiennes, y compris sur la divinité de Jésus. Pour eux, il était à la fois humain et Dieu, né homme, mais de nature divine. Pourtant, durant sa deuxième année au séminaire théologique Crozer en Pennsylvanie, Martin Luther King a défendu l’idée que cela ne pouvait plus être accepté par la pensée moderne. Une nouvelle interprétation était nécessaire. «La tentative orthodoxe de présenter la divinité de Jésus, sous forme de substance métaphysique inhérente à sa nature, me semble complètement inadéquate», a-t-il écrit dans un travail d’étudiant en 1949 dans lequel il défendait que la position traditionnelle est «à rejeter complètement.» À la place, Martin Luther King émet l’hypothèse que Jésus a atteint la divinité par la prise de conscience qu’il était complètement dépendant de Dieu. Ce qui est une «promesse et une prophétie pour tout autre humain qui désire soumettre sa volonté et son esprit à Dieu.» Déjà en cette période de sa vie, la croyance de Martin Luther King qu’il fallait mettre sa foi en action commençait à prendre forme.
L’étudiant a aussi remis en cause plusieurs autres doctrines chrétiennes orthodoxes qu’il considérait comme «non scientifiques, impossibles et même bizarres» lorsqu’elles sont prises littéralement, mais chargées de sens spirituel lorsqu’elles sont comprises de façon moderne.
Il défend ainsi que le retour de Jésus n’est pas un évènement, mais l’expérience de la prise de conscience de sa présence dans nos vies. Le jour du Jugement dernier pourrait être n’importe quel jour où le croyant prend une décision morale à la lumière de l’enseignement de Jésus.
Peut-être plus important encore, il voit le Royaume de Dieu sous le prisme de l’Évangile social. Dans sa dernière année à Crozer, il a donné un aperçu des idées qui ont conduit son ministère et son activisme plus tard: «Quand nous verrons les relations sociales contrôlées partout par les principes que Jésus a illustrés dans sa vie — la confiance, l’amour, la miséricorde et l’altruisme, alors nous saurons que le Royaume de Dieu est ici.»
La désobéissance civile et la non-violence
Alors que Martin Luther King a étudié le mahatma Gandhi et Henry David Thoreau au séminaire, ce n’est qu’une fois en chaire qu’il a mis en œuvre leurs philosophies. Durant le boycott des bus de Montgomery qui a débuté une année après que Martin Luther King est arrivé en poste à l’Église baptiste de la rue Dexter de la ville d’Alabama, il a fréquemment fait référence à Gandhi. Il le présentait comme «un guide pour notre approche non violente de changement social.» L’assassinat de Gandhi en 1948 n’était pas encore de l’histoire ancienne.
Après le boycott, en 1959, Martin Luther King a voyagé en Inde où il a rencontré des membres de la famille de Gandhi et des activistes qui avaient été influencés par lui. «Depuis que je suis en Inde, je suis plus convaincu que jamais que la méthode de résistance non violente est l’arme la plus puissante disponible pour les peuples opprimés dans leur lutte pour la justice et la dignité humaine», déclarait le révérend lors d’une intervention radiophonique en Inde. «D’une manière bien réelle, le mahatma Gandhi a fait prendre forme dans sa vie certains des principes inhérents à la structure morale de l’univers. Et ces principes sont aussi inéluctables que la loi de la gravitation.»
Henry David Thoreau a été l’un des pères fondateurs du transcendantalisme américain qui considère que tous les êtres humains sont unis par une «sur-âme» commune. Il a défendu l’idée de la désobéissance civile qui considère que les lois injustes devraient être pacifiquement, mais clairement combattues.
Henry David Thoreau a notamment été condamné à de la prison en 1849, pour avoir refusé de payer des impôts dont il pensait qu’ils étaient utilisés pour soutenir l’esclavage. Quand son modèle et camarade de transcendantalisme Ralph Waldo Emerson lui a demandé ce qu’il faisait en prison, le philosophe et poète lui aurait répondu: «Et toi? Que fais-tu en dehors de la prison?»
Cette histoire — bien que son authenticité soit mise en doute — pourrait être le résumé en une ligne de la «Lettre de la prison de Birmingham» de Martin Luther King, une remise en place du clergé blanc protestant qui était critique à l'égard du rôle de Martin Luther King dans l’organisation des boycotts, des marches pacifiques et des manifestations étudiantes à Birmingham en 1963.
«Il y a deux types de lois. Les justes et les injustes», aimait rappeler le prédicateur. «Je serais le premier à défendre l’obéissance aux lois justes. On a, non seulement le devoir légal, mais aussi le devoir moral d’obéir aux lois justes. Mais inversement, on a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes.»
Plus tard dans une lettre, il délivre le coup de grâce. «Je suis venu à Birmingham avec l’espoir que les responsables religieux blancs de notre communauté verraient la justice de notre cause. Oui, je vois l’Église comme le corps du Christ. Mais oh! Comment avons-nous terni et sali ce corps par la négligence sociale et par la peur d’être non conformistes? »
Libéralisme protestant
Martin Luther King connaissait aussi parfaitement le travail du pionnier de l’Évangile social Walter Rauschenbush et du théologien Reinhold Niebuhr.
Walter Rauschenbush, baptiste du début du XXe siècle, croyait que les chrétiens devaient se soucier moins de leur salut personnel que de construire un monde juste: le royaume de Dieu sur terre. Ces pensées transparaissent dans le célèbre discours «I Have a Dream», prononcé en 1963 à Washington DC par Martin Luther King. «Je rêve qu’un jour toutes les vallées seront relevées, toute colline et toute montagne seront rabaissées», avait déclaré le prédicateur. «Les endroits escarpés seront aplanis et les chemins tortueux redressés. La gloire du Seigneur sera révélée et tous les êtres faits de chair seront réunis pour le voir.»
Au milieu du siècle, Reinhold Niebuhr, un partisan de ce qui était appelé réalisme chrétien, appelait à la moralité individuelle dans un monde immoral. Une idée que Martin Luther King reprend également dans sa «lettre de la prison de Birmingham». Par ailleurs, alors qu’il était doctorant à l’Université de Boston, Martin Luther King a écrit à Reinhold Niebuhr pour se présenter.
Au moment des marches de Selma en 1965, Reinhold Niebuhr a qualifié Martin Luther King de «plus grand responsable religieux de notre époque» et a regretté de ne pouvoir se joindre au mouvement en raison de problèmes de santé.
D’autres théologiens judéo-chrétiens ont influencé Martin Luther King. Parmi lesquelles Augustin et Thomas d’Acquin, le philosophe juif Martin Buber, le théologien luthérien Paul Tillich et le prédicateur puritain John Bunyan, tous cités par Martin Luther King dans sa «Lettre depuis une prison de Birmingham».
Église noire
Martin Luther King a aussi exploré ce que James Cone appelle «la tradition noire de l’intégration», le mouvement de responsables tels que Frederick Douglass et W.E.B. DuBois pour l’intégration des noirs américains. Un combat poursuivi ensuite par la National Urban League et l’Association nationale pour la promotion des gens de couleur. Et il était le fils d’un prédicateur dans la tradition du baptisme noir.
Pour James Cones, l’Église noire dont Martin Luther King est issu, est la colle qui maintient ensemble toutes les influences de sa théologie. «La théologie de Martin Luther King se définit par les thèmes de la justice, de l’amour et de l’espoir», écrit James Cone en 1986. «La Justice, l’amour et l’espoir sont centraux dans l’histoire des traditions religieuses noires.»
Martin Luther King l’exprime à sa façon en 1965: «Je suis plein de choses pour plein de monde; défenseur des droits civils, agitateur, fauteur de troubles et orateur, mais dans les ressources tranquilles de mon cœur, je suis fondamentalement un ecclésiastique, un prédicateur baptiste», a-t-il déclaré. «C’est mon être et mon héritage. L’Église est ma vie et j’ai donné ma vie à l’Église.»