En Centrafrique, une cathédrale abrite des musulmans persécutés
Des centaines de musulmans sont coincés dans l'enceinte d'une cathédrale catholique romaine dans la ville de Bangassou en République centrafricaine. Ils ne peuvent quitter les lieux craignant d'être attaqués par les milices chrétiennes. En effet, une guerre civile entre la majorité chrétienne et les musulmans divise la partie sud-est du pays, depuis près de cinq années. Des musulmans ont été attaqués et assassinés dans la région de Bangassou, une petite ville marchande à la frontière de la République démocratique du Congo.
En juillet dernier, le soi-disant Groupe de défense pour les chrétiens (Church Defense Group for Christians) a fait appel à tous ses fidèles pour mener des représailles contre les musulmans qui ont tué des chrétiens. Le chef du groupe, François Nzapakéyé, a expliqué que «les prêtres et les pasteurs étaient systématiquement assassinés». Il fait entre autres référence au père Paul Emile Nzalé, tué dans une attaque de 200 hommes armés, au mois de mai à Notre-Dame de Fatima à Bangui, la capitale.
«Nous allons venger les morts tués dans l'exercice de leurs fonctions. Musulmans ou chrétiens, on verra», a affirmé François Nzapakéyé dans un communiqué à ses partisans. Or, à Bangassou, la cathédrale Saint-Pierre Claver a ouvert ses portes à quelque 2'000 musulmans. Et à trois heures de là, des centaines d'étudiants et d’habitants se sont réfugiés dans une paroisse locale à Zemio. Dans ces deux endroits, les musulmans et leurs protecteurs vivent dans la peur constante de nouvelles attaques des milices chrétiennes.
Éviter un bain de sang
«Il y a des hommes armés qui attendent que les musulmans sortent du camp afin de les tuer», a expliqué le père Yovane Cox du diocèse de Bangassou, qui vit aussi dans l'enceinte. «Nous devons les aider au plus vite afin d'éviter un bain de sang.» «On pourrait me tuer à n'importe quel moment», a raconté par téléphone Aboubakar Abdoulaye, 22 ans, à Religion News Service (RNS), depuis la cathédrale. «On entend des coups de feu et des explosions chaque nuit. On ne peut pas sortir du camp, ni pour aller chercher de la nourriture ni du bois. Ils nous tueraient.»
Le conflit ethnique et religieux qui divise la République centrafricaine, chrétienne à 80%, a commencé en 2013 lorsque la milice Seleka (coalition en sango), principalement musulmane, a renversé le président Faustin-Archange Touadéra. Ripostant, les milices chrétiennes, appelées «anti-balaka», se sont mobilisées pour combattre les rebelles musulmans. Des milliers de personnes des deux camps ont été tuées et un cinquième de la population a fui dans d’autres parties du pays et à l'étranger.
La milice chrétienne, dit Mohamadou Mana, qui vit dans l'enceinte de la cathédrale, est «déterminée à nous éliminer». Mohamadou Mana, âgé de 28 ans, a perdu sa famille dans une attaque en mars 2017 alors qu’il sortait pour chercher à manger. «Ils affirment vouloir éliminer la communauté musulmane dans le pays», ajoute-t-il. «Nous avons besoin d'aide.»
Les responsables d'Église accusés de protéger les familles musulmanes sont aussi menacés. «Ils nous considèrent comme des traîtres», déplore Jean-Alain Zembi, prêtre à Zemio. «Ils nous tueront s'ils découvrent que vous protégez des musulmans.» L'évêque Juan José Aguirre de Bangassou avait révélé à la BBC, en 2017, que malgré la protection des soldats de l'ONU, ils avaient été attaqués pour avoir hébergé des musulmans dans le Petit Séminaire St-Louis. «Nous avons été attaqués par des chrétiens. Ils s’en sont pris à ma voiture», raconte encore l'évêque Juan José Aguirre. «Nos propriétés ont été complètement vandalisées. Nous sommes la cible tant des chrétiens que des musulmans. Mais nous devons aider les gens qui ont besoin de nous - ceux qui sont vulnérables, y compris les musulmans et les enfants.»
Personne ne se soucie des chrétiens
Selon les membres de la milice chrétienne, ils ne font que répondre aux attaques des militants musulmans dans le nord du pays. «La Seleka va de maisons en maisons, tuant les chrétiens et détruisant les Bibles dans le nord du pays. Personne n'en parle», s’inquiète Francis Paguere, chef de milice à Bangui. «Qui protège les chrétiens? Personne n'est venu condamner ces tueries, même pas les imams.» Les activistes musulmans méritent d'être punis, d'après lui. «C'est la guerre. Ils l’ont provoquée. Maintenant, ils doivent être prêts à se battre», affirme-t-il. «Personne ne devrait les protéger, pas même les responsables d'Église, parce qu'ils sont en train de tuer notre peuple.»
Certains imams ont demandé l’harmonie, dans un communiqué de juin 2018, rappelant à leurs fidèles que la liberté de culte «était garantie par la Constitution». «Les actes de violence qu'on vit depuis plusieurs années en Centrafrique ont pour but de transformer la crise politique en crise religieuse», peut-on lire de la déclaration.
Juan José Aguirre estime que la crise pourra être résolue seulement si on abat les barrières entre l'islam et le christianisme. «Il n'existe pas de personnes musulmanes ou de personnes chrétiennes», a-t-il expliqué à la BBC. «Nous sommes tous des êtres humains et nous devons protéger tous ceux qui sont vulnérables.»
Aboubakar Abdoulaye et les autres cloîtrés dans la cathédrale de Bangassou ont besoin d'une solution plus rapide. «Nous ne sommes pas en sécurité ici. Le gouvernement doit nous reloger.» Malgré tout, le jeune homme se dit reconnaissant pour toute l'aide qu'il a reçue. «Nous remercions les responsables d'Église qui nous ont soutenus. Nous supplions les autres chrétiens de faire comme eux et d'arrêter les attaques contre les musulmans. Nous devons vivre dans la paix.» (Doreen Ajiambo, Bangui, République centrafricaine, RNS/Protestinter)