Les Indiens gays revendiquent leurs droits dans la sphère religieuse
Il y a neuf ans, une décision de la Haute Cour de Delhi avait dépénalisé le sexe entre adultes consentants de même genre. Sukhdeep Singh, âgé de 30 ans aujourd'hui, ingénieur en informatique à Kolkata, avait fait son 'coming-out' comme sikh gay. «Ce verdict m'avait permis de revendiquer mon identité sexuelle», raconte-t-il. «Je pouvais enfin affirmer que j'étais sikh et homosexuel dans la même phrase.»
Or, quatre ans plus tard, la Cour suprême de l'Inde a annulé la décision de la Haute Cour de Delhi et imposé l'interdiction de l'homosexualité, ramenant la stigmatisation associée à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre. Mais début septembre, la Cour suprême a annulé la Section 377 du Code pénal indien datant de l'ère coloniale, supprimant ainsi l’interdiction des relations homosexuelles. Sukhdeep Singh s'est à nouveau senti libre de revendiquer sa foi.
Quand le verdict a été annoncé jeudi 6 septembre, Sukhdeep Singh et d'autres membres LGBTQ (lesbienne, gay, bisexuel, transsexuel et queer) qui attendaient devant le tribunal ont brandi des drapeaux arc-en-ciel et commencé à faire la fête. «Nous étions euphoriques, non seulement parce que la moralité populaire ne pouvait plus écraser nos droits constitutionnels, mais aussi parce que nous pouvions désormais revendiquer nos droits dans la sphère religieuse», explique le jeune homme.
Une profonde stigmatisation
Sukhdeep Singh raconte comment les sikhs gay ont constamment été discriminés sur les réseaux sociaux parce qu'ils pratiquaient leur foi. «On nous reproche d’aller à l'encontre des enseignements des saints sikhs et de conférer une mauvaise réputation à notre communauté. Ils exigent qu'on enlève nos turbans.»
Par crainte de censure sociale et religieuse, les membres LGBTQ se sont distancés des grands courants religieux en Inde. Les genres non-conformistes ne sont pas bien accueillis dans les lieux formels de culte. Les ordres religieux les rejettent, car ils les considèrent comme déviants. Quand ils se tournent vers leurs propres familles pour trouver de l'aide, ils sont souvent bannis ou amenés vers des prêtres pour «être soignés psychologiquement».
De plus en plus de personnes LGBTQ se sont tournées vers des réseaux de solidarité oecuméniques alternatifs, cherchant des réponses à leurs dilemmes personnels et sociaux. Aujourd’hui, le tribunal offre à la communauté LGBTQ des munitions pour revendiquer ses droits, mais beaucoup de personnes gays et transgenres estiment que la société ne changera pas toute seule. Ce sera à eux de stimuler le changement.
Transformer la société
Tashi Choedup, un moine bouddhiste gay de 27 ans, vivant à Bodh Gaya, a été élevé dans la tradition hindoue. «Le verdict de la Cour suprême est simplement un outil qui doit être employé correctement par le gouvernement et les communautés religieuses et homosexuelles afin de transformer les attitudes sociales. Sinon, cette ‘mise à l’écart’ religieuse va se perpétuer.»
Andy Silveira, 38 ans, de Hyderabad, se préparait à la prêtrise catholique depuis onze ans, mais a quitté l'ordre en 2009. «Ma critique contre l'Église catholique est qu'elle doit devenir plus moderne et inclusive.» Il affirme qu'il se laisse encore inspirer par le Christ, parce qu'il était un rebelle qui critiquait les institutions oppressives. «De même, les minorités sexuelles devraient utiliser ce nouveau droit pour combattre la marginalisation.»
Le parti au pouvoir prohindou Bharatiya Janata ne semble pas pressé d’apporter son aide. Il a effectivement délégué sa position sur la Section 377 à la «sagesse de la Cour», sans pour autant en critiquer la décision, mais sans l'accepter non plus. Rashtriya Swayamsevak Sangh, l'organisation mère du parti, était également mitigée dans sa déclaration sur la décision: «Les gens apprennent par expérience, et donc cette question sera gérée à un niveau social et psychologique», a-t-elle annoncé.
Mariage et adoption
Pour les croyants LGBTQ, savoir comment les leaders religieux répondront à la décision est d'autant plus crucial qu'elle affecte les questions sur le mariage, les partenariats civils, les droits à l'adoption et l'héritage. Actuellement, le climat conservateur croît en Inde et la place réservée aux voix marginales se restreint. «Ce verdict va nous aider à sensibiliser les groupes religieux sur le besoin de dialoguer avec les minorités sexuelles. Davantage de gays pourront exprimer leur foi s'il existe des lieux inclusifs», affirme Ankit Bhuptani, fondateur de l'Association Vaishnava pour les gays et les lesbiennes, un groupe hindou à Mumbai.
Ankit Bhuptani organise des rencontres chaque mois pour sensibiliser les LGBTQ aux écrits hindous et discuter de la position de l'hindouisme sur la sexualité. Il pilote également des conférences œcuméniques où des groupes homosexuels parlent à des leaders spirituels de leurs positionnements sur la foi. «La religion nous enseigne l'inclusion, et non pas la violence et la discrimination. Si les religieux interdisent aux homosexuels de fréquenter les lieux de culte, c'est un signe de leurs propres manquements en tant que leaders spirituels», souligne Tashi Choedup
Le clergé et les politiciens conservateurs ont vivement montré leur désaccord avec cette décision. De son côté Dipak Misra, l'un des cinq juges qui a participé au verdict, a écrit: «Le respect du choix individuel est l'essence de la liberté. La communauté LGBTQ possède des droits égaux sous la constitution. Criminaliser les actes homosexuels est irrationnel, indéfendable et manifestement arbitraire.»
La peur de l’anarchie sexuelle
Moulana Mahmood Madani, secrétaire général de Jamiat Ulema-i-Hind, une des organisations principales islamiques en Inde, a affirmé que le verdict conduirait à une hausse des crimes sexuels et pousserait la société à «l'anarchie sexuelle et la décadence morale». Des groupes chrétiens comme l'Alliance apostolique des Eglises, le Conseil chrétien Utkal et les Ministères 'Trust God' (faire confiance en Dieu) s'opposent également à la décision. Ils affirment que la science ne défend pas l'idée qu'une personne naisse avec une orientation sexuelle définie.
Or, la Cour a manifestement encouragé les membres LGBTQ à pratiquer leur foi de manière plus ouverte. Ranjita Sinha, une militante pour les droits transgenres de Kolkata, prévoit de célébrer, en octobre, le festival hindou annuel de Durga Puja avec une fanfare. Au lieu des dieux des castes supérieures, son festival communautaire glorifiera des représentations de dieux et déesses opprimés, et un prêtre chantera des prières pour les minorités sexuelles et de genres. «Nous voulons briser les politiques identitaires intégrées dans les festivals publics. Personne ne pourra nous empêcher d'exprimer notre foi, pas même ceux qui nous déshonorent», insiste-t-elle.
Le combat pour une voix plus affirmée dans les traditions religieuses a commencé avant la décision de la cour. Le Projet musulman gay, une plateforme numérique de soutien permettant aux membres de partager leurs dilemmes et expériences, a reassemblé plus de 6'500 adeptes sur les réseaux sociaux depuis l'année dernière. Un film sur les vies de sikhs queer et leurs cheminements religieux est en préparation.
Un impact surestimé?
Paralèllement, certains personnes pensent que l'impact de la décision sur la religion est surestimé. Malobika, co-fondatrice de Sappho pour l'égalité, un forum activiste pour les droits des lesbiennes, bisexuelles et transgenres en Inde orientale, estime que le verdict n'est qu'un encouragement pour le moral. «Tant que les préjugés sociaux dureront, l'engagement actif dans la vie religieuse reste inaccessible. Certains responsables religieux pourraient même exploiter les groupes queer nouvellement habilités, pour récolter des bénéfices.»
Quoi qu’il en soit, les croyants LGBTQ ont accueilli le verdict comme un nouveau souffle de vie et l’euphorie règnent depuis le 6 septembre. «Nous avions besoin de légitimité dans nos cheminements spirituels. La foi parle de l'esprit d'une personne. Elle n'a rien à voir avec le genre ou l'orientation sexuelle», conclut Sukhdeep Singh.