Dans un contexte de laïcité sourcilleuse et de privatisation extrême du religieux, Dieu relève de l'intime et du secret. Il est plus facile actuellement, et plus tendance aussi, de se proclamer bouddhiste, athée ou de parler de sa voyante que d'affirmer sa foi. Si la méfiance et la timidité sont de rigueur chez les jeunes, certains artistes ne craignent pas d'engager leur foi à travers leur art. Témoins, le peintre François Archiguille et la pianiste Elizabeth Sombart "Tu fumes, tu portes des jeans et tu es très croyante, ce n'est pas possible!" Catherine Cachin, mère de trois enfants, silhouette d'adolescente éternelle, rit de l'étonnement qu'elle a provoqué chez son interlocuteur quand elle lui a dit son engagement dans le milieu évangélique. "Faut-il être moche, avoir des poils aux pattes et être ringarde pour être croyante? Autrefois je croyais aussi à ce genre de stéréotypes. Maintenant, ils m'amusent quand ils ne m'agacent pas".

Catherine dit volontiers sa confiance en Dieu et la joie qui l'habite depuis qu'elle s'est convertie, il y a treize ans. Elle se souvient encore du jour et de l'année. Sans chercher à faire du prosélytisme, elle n'hésite pas à dire sa foi. "Quand on a découvert le Christ, on ne peut pas se taire". Catherine est très consciente que son affirmation est considérée comme impudique, presque obscène.

"Qui déclare actuellement son engagement religieux sans un mouvement de timidité" ? constate Arnold Ulrich de Buttes dans "La vie protestante" neuchâteloise. Il avoue se sentir seul, bizarre et surtout conscient d'être un doux illuminé aux yeux des autres, quand il affirme haut et clair qu'il est protestant et heureux de l'être. Il déplore ce vague sentiment de honte à dire aujourd'hui son attachement à une Eglise. Pour lui, son identité passe par son appartenance confessionnelle. "J'ai le sentiment de mieux savoir qui je suis: un Chrétien de ce pays de Neuchâtel, nourri dans son enfance des histoires de la Bible, instruit et reçu comme membre à part entière dans l'Eglise".

§Credo laïquePour Sylviane Roche, écrivain, auteur de "L'Italienne", c'est tout au contraire dire son athéisme qui pose problème. "Quand je précise que je suis laïque et athée, j'ai l'impression d'avoir dit une grossièreté. Je considère que la religion relève de la sphère privée et que la séparation de l'Eglise et de l'Etat est la garantie de base de la démocratie. Je suis profondément laïque, ce qui paraît incompréhensible, du moins singulier dans ce pays de Vaud où le protestantisme est quasiment religion d'Etat".

Pour Yvette Jaggi, présidente de Pro Helvetia, il n'est pas question de taire ses convictions par peur d'indisposer les autres. L'engagement de l'ancienne syndique de Lausanne relève plutôt de principes qui correspondent à l'humanisme chrétien. "J'emploierais plutôt le terme de foi dans le sens laïque d'engagement politique et social, de confiance dans les possibilités de l'humanité de s'améliorer. Je n'ai aucun problème à afficher les idées qui forment la base de mon action, tant politique que sociale. Mais je ne peux pas parler, pour ma part, d'engagement chrétien formaliste".

§Les jeunes ont peur d'être endoctrinésQuand Virgile Rochat, aumônier à l'Université de Lausanne, s'installe à la cafétéria, des étudiants lui demandent d'emblée s'il est "en mission". "Je dois faire face à une grande méfiance, les jeunes ont actuellement tellement peur d'être endoctrinés. Je leur réponds que je cherche simplement à être parmi eux, à les rencontrer, à ouvrir le dialogue, à faire naître des questions dans le plus grand respect de chacun".

Pour eux, la religion fait partie de l'intime et relève du secret. Virgile Rochat tente une explication: "Cette attitude est le résultat de l'individualisme actuel mais aussi d'une culture protestante qui a toujours invité à l'intériorité. Alors qu'il était aumônier des gymnases à Morges et Nyon, il a constaté que ceux qui osaient dire leur foi sans gêne ni honte étaient des évangéliques ou des étudiants étrangers, protestants hollandais et anglicans. "Lorsque j'organisais des cours d'approche des grandes religions par exemple, ceux qui s'intéressaient ouvertement à des questions spirituelles étaient ceux qui n'avaient reçu aucune formation religieuse, qui n'avaient surtout pas fait de catéchisme, à croire que ce dernier vaccine contre le religieux et le questionnement".

Critique sévère que reprend Jean-Yves Bottarelli, directeur d'un institut de réinsertion professionnelle pour alcooliques à Vevey: "J'en veux au protestantisme qui nous a enfermés dans de vieux schémas et nous a présenté un Dieu qui punit, rendant les gens prisonniers d'une morale très rigide et de non-dits étouffants et leur a légué un sentiment très tenace de culpabilité". Ce qui ne l'empêche toutefois pas d'affirmer de façon retenue à des interlocuteurs dont il sent qu'ils sont ouverts à une réflexion spirituelle, qu'il tente d'être chrétien autrement, à travers ses actes, au travail, dans sa vie de tous les jours. S'il est resté protestant, c'est par fidélité à ses racines, à sa culture environnante, mais il tient à l'être à sa manière, dans une démarche originale et personnelle.