L’affichage des thèses de Luther, un fait avéré?

©istock/typo-graphics
i
©istock/typo-graphics

L’affichage des thèses de Luther, un fait avéré?

21 novembre 2018
Deux historiens allemands publient une recherche qui atteste que le réformateur Martin Luther a bel et bien affiché ses 95 thèses à la porte de l’église du château de Wittenberg, le 31 octobre 1517. Parmi les scientifiques, le doute persiste.

Wittenberg (EPD/Protestinter) Un an après le jubilé de la Réforme, deux historiens défendent le mythe de l’affichage des thèses de Luther en 1517. Mirko Gutjahr et Benjamin Hasselhorn, tous deux assistants de recherche auprès de la fondation dédiée aux lieux commémoratifs consacrés à Luther en Saxe-Anhalt, ont présenté, en octobre dernier, dans leur ville de Wittenberg leur ouvrage «Un fait avéré! La vérité sur l’affichage des thèses de Luther». Quant aux motifs de leur démarche, Benjamin Hasselhorn souligne leur étonnement, l’année dernière, que ce moment fondateur soit si fréquemment remis en question dans la sphère publique. Il était le plus souvent évoqué au conditionnel, entouré de tournures prudentes comme «à en croire la légende».

«Dans le milieu scientifique aussi, cette histoire a beaucoup été critiquée pour la valeur de symbole, et donc de mythe, qui s’y était associée», poursuit l’expert. La raison: le traitement réservé au marteau de Luther, devenu un objet de premier plan et notamment mis en avant lors des expositions temporaires nationales. Les deux historiens déclarent aujourd’hui avoir compilé toutes les sources pertinentes, déconstruisant en parallèle les arguments qui pouvaient conduire à douter de l’existence de cet événement. D’après Benjamin Hasselhorn, «selon notre analyse, on ne peut remettre sérieusement en cause la réalité de l’affichage des thèses. Comme pour tout travail d’historien, il nous est bien sûr impossible d’arriver à une certitude absolue, mais notre conviction est aussi forte qu’elle peut l’être.» Les indices soutenant cette position s’imposeraient par leur importance comme leur fiabilité.

Le marteau serait également véridique

Les deux auteurs renvoient notamment à une note signée de Georg Rörer, le secrétaire particulier de Luther, qui a été la toute première source à évoquer les événements du 31 octobre 1517. Philipp Melanchthon (1497-1560), ami et soutien du célèbre théologien, aurait en outre été témoin de la scène. Selon eux, rien ne porte non plus à croire que l’affichage se serait finalement fait à la colle et au pinceau, comme on l’a si souvent répété l’année dernière: le détail du marteau serait également véridique.

Martin Luther (1483-1546) aurait donc bel et bien publié, le 31 octobre 1517, ses 95 thèses contre les abus de l’Église de son temps, les clouant à la porte de l’église du château de Wittenberg. Cet événement est considéré comme le point de départ d’un mouvement de réforme mondial, qui a entraîné la séparation des Églises protestante et catholique.

Reiner Haseloff (CDU), ministre-président de Saxe-Anhalt, catholique et habitant de Wittenberg, a déclaré à l’occasion de la présentation du livre que nul n’avait jamais douté de ce fait historique dans sa ville. Le débat scientifique n’aurait nullement ébranlé la conviction populaire. Lui-même, malgré son appartenance à un autre culte, aurait toujours très fermement contesté tout usage du conditionnel en ce qui concernait l’affichage des thèses.

Pas de preuves supplémentaires

Notons cependant le regard critique porté sur ces travaux par Thomas Kaufmann, le célèbre historien spécialiste des Églises originaire de Göttingen. Interrogé par le Service de presse protestant, celui-ci a déclaré que les deux auteurs n’avançaient en réalité aucune preuve supplémentaire. Dans un article publié dans le «Rotary Magazin» (numéro d’octobre), il avait fait valoir que s’ils avaient le mérite de compléter le débat sur l’historicité de l’affichage des thèses, en fournissant un condensé d’une utilité certaine, il n’y avait rien de très nouveau dans le fait que la majorité des historiens de la Réforme considèrent la publication des thèses sur les portes de l’église de Wittenberg comme la version la plus crédible de l’événement.

En outre, aucun des indices en faveur de cette position ne serait, d’après lui, assez convaincant pour faire figure de preuve indéniable: «Les éléments semblant attester de la véracité de l’affichage des thèses ne sont ni plus ni moins importants aujourd’hui. Quiconque souhaite en apporter davantage, quelles que soient ses raisons, repousse par là même les limites de la probité scientifique d’une manière bien peu commandable.»

L’ouvrage «Un fait avéré! La vérité sur l’affichage des thèses de Luther» est publié par la maison d’édition Evangelischen Verlagsanstalt, installée à Liepzig. Mirko Gutjahr, né en 1974 à Pforzheim, est historien et archéologue. En 2017, à l’occasion du 500e Jubilé de la Réforme, il a été le commissaire de l’exposition temporaire nationale «Luther! 95 trésors, 95 personnes». Benjamin Hasselhorn, né en 1986 à Göttingen, est historien et théologien. Lui aussi a été commissaire de l’exposition de Wittenberg et travaille actuellement en tant qu’assistant auprès de la fondation dédiée aux lieux commémoratifs consacrés à Luther.