Expulsions controversées pour préserver une réserve animalière
Quand les gardes forestiers sont arrivés au Complexe de la forêt Mau (Mau Forest Complex), au Kenya, en juin dernier pour procéder à des expulsions massives, les occupants ont pris peur et ont commencé à partir. Ils ont cherché refuge dans des églises, des écoles et des centres commerciaux, alors que la fumée s'élevait de leurs maisons rasées. Des édifices religieux, des collèges et des récoltes ont été brûlés lors de cette opération de nettoyage mise en place par le gouvernement dans le but de sauver la principale source d’approvisionnement d'eau.
Ces évacuations massives ont divisé le clergé. Certains responsables religieux les soutiennent, affirmant qu'elles sont cruciales pour la protéger la forêt Mau: un héritage donné par Dieu et un écosystème essentiel. D'autres au contraire s'y opposent, arguant que les expulsions sont inhumaines.
Plus de 40'000 fermiers et éleveurs ont en été la cible. Ils occupaient 146'000 hectares des 400'000 hectares de terres forestières dans le secteur nommé Maasai Mau. Les occupants avaient pourtant acheté les parcelles de terrain. Certains responsables d'Églises estiment que ces achats étaient politisés dans le but d’influencer les votes dans la région.
Un gouvernement intransigeant
Certains d’entre eux vivent dans cet endroit depuis plus de 30 ans, mais à cause de la destruction de la forêt et des sources d'eau, le gouvernement force les résidents à partir. On se préoccupe notamment de l'abattage des arbres qui a exacerbé l'érosion et augmenté la quantité de terre dans les lits des rivières risquant désormais de s'assécher. Les communautés en aval dépendent de ces sources d’eau pour leur propre consommation et leurs élevages. Les animaux sauvages vivant dans les parcs protégés ont également besoin de ces rivières.
Dans le cadre des expulsions, de grandes plantations de thé ont aussi été fermées. Les propriétaires ont reçu l'ordre de laisser les plantes se transformer en friche. Environ 7'000 habitants ont été expulsés durant l'été tandis que le gouvernement leur a repris 12'000 hectares.
Jackson Ole Sapit, l'archevêque anglican du Kenya, a confirmé à Religion News Service (RNS) qu'il soutenait les expulsions. Selon lui, la forêt est un écosystème sacré qui doit être sauvegardé à tout prix. «Si on ne la sauve pas maintenant, nous allons voir les communautés, les animaux sauvages et le bétail souffrir de la sécheresse. C’est vraiment urgent de faire quelque chose.»
Des gnous en danger
D'après Jackson Ole Sapit, la forêt comprend de nombreuses rivières qui desservent des plans d'eau importants, dont le lac Victoria, le lac Natron et la rivière du Nil. La forêt «préserve la rivière Mara, qui est la source de vie pour la migration des gnous, une des merveilles du monde», explique Jackson Ole Sapit. 1,5 million de gnous, de zèbres et d’antilopes se déplacent entre la réserve naturelle du Serengeti et le Maasai Mara à la recherche de plaines fertiles. «Si on supprime la forêt, on tue la migration des gnous.»
«Je pense que les évacuations sont positives pour les Kenyans - y compris les occupants de cette zone», assure le révérend Charles Odira, prêtre catholique et défenseur de l’environnement. «Cela prendra du temps pour restaurer la forêt, mais cette décision se montrera bénéfique pour le pays à long terme.»
Auncune compensation
Le gouvernement a supprimé la possibilité d’une compensation pour les habitants de la forêt, arguant qu'ils s'y étaient installés illégalement. Les résidents devront donc trouver de nouvelles terres pour s'installer ou retourner dans leurs terres natales. Certains ont tenté de faire valoir leurs titres de propriété, mais les fonctionnaires gouvernementaux prétendent que ce sont des faux.
D'après Hassan Ole Naado, secrétaire général du Conseil suprême pour les musulmans au Kenya, la plupart des occupants sont des citoyens innocents qui ont été dupés par des racketteurs dans l'achat de ces terres forestières. «Les racketteurs ont usé de leur influence et de leur pouvoir pour leurrer ces gens. C'est eux que les autorités devraient poursuivre», explique Hassan Ole Naado.
Les expulsions sont largement soutenues au Kenya, mais certains responsables d'Églises ont tiré la sonnette d’alarme. S’ils ne sont pas opposés à la conservation des plans d'eau, ils dénoncent des expulsions cruelles. Paul Leleito, évêque retraité de l'African Gospel Church, considère que les autorités gouvernementales n’ont pas suivi les recommandations de la commission de pilotage pour nettoyer la zone. Ils auraient dû délimiter le secteur, déterminer les propriétés et soutenir les résidents forcés à partir.
«Mon souci est qu'ils ont exécuté ces expulsions sans avertissement préalable», déplore Paul Leleito. «Beaucoup de personnes touchées n'ont aucun abri. Ils souffrent des nuits froides. Certains sont malades. Les enfants ne vont pas à l'école.» Paul Leleito a supplié le gouvernement de donner aux résidents expulsés le temps de planifier leur départ. «On devrait au moins laisser les gens moissonner leurs récoltes, sinon elles seront perdues.»
Parallèlement, le clergé a mis en garde les politiciens de ne pas profiter des expulsions pour gagner des points politiques, par crainte de diviser les communautés de la région. De son côté, Jackson Ole Sapit suggère que la forêt soit clôturée pour éviter qu'on la dégrade ou que de nouvelles personnes s'y installent illégalement. «Nous devons faire au mieux et encourager le gouvernement à protéger l'environnement.»
Fredrick Nzwili, Nairobi, Kenya, RNS/Protestinter