Un nouveau maire à la tête de Jérusalem divisée
Jérusalem trois fois sainte a toujours été un lieu de déchirements communautaires, et l’élection municipale qui a vu mercredi Moshe Leon devenir maire de la ville après une victoire très serrée (51,5% des votes contre 48,5% pour son rival Berkovitch) n’a pas fait exception.
Boycott palestinien et laïc
Premier indicateur de ces tensions: la participation au scrutin. Sur une population totale de 901’300 personnes en 2017, seuls environ 200’000 se sont rendues aux urnes. Si l’on exclut tous ceux qui ne peuvent voter, deux tiers des ayants droit seulement se sont déplacés. Les Palestiniens de Jérusalem-Est sont le groupe d’abstentionnistes le plus important: ils boycottent le vote, comme chaque année depuis 1967. Cette année-là, Israël a pris le pouvoir sur la totalité de la ville. Un autre tiers de résidents n’ont pas voté: les Israéliens laïques. «Ils se plaindront ensuite de n’être pas représentés, mais c’était dans leurs mains», relève avec dépit Yaniv, un non-religieux qui vit depuis dix ans dans la ville et qui lui, a couru aux urnes.
En observant les candidats, on constate que le deuxième tour a vu s’opposer deux hommes très différents. Seul non religieux de toute l’élection, Ofer Berkovitch, 35 ans est né et a grandi à Jérusalem. Il incarne la modernité et le pluralisme. L’homme, à la tête d’un parti appelé «Réveil», a remporté l’adhésion d’Israéliens de diverses tendances religieuses et politiques. Face à lui, Moshe Leon. Homme d’affaires nouvellement arrivé à Jérusalem, ancien directeur général du bureau du Premier ministre sous Netanyahou, il est un proche de la droite nationaliste et des ultra-orthodoxes. «Sa campagne a été émaillée de fake news. Des faux tracts présentant Ofer Berkovitch déguisé en Arabe ont été largement distribués, et des soupçons de corruption pèsent déjà sur sa campagne», affirme Yaniv.
Un maire sans siège
Rien de très étonnant en Israël. Pourtant, cette élection est vraiment spéciale. D’abord, Moshe Leon est le premier maire de la ville de Jérusalem à l’avoir emporté sans adhérer à un parti et sans avoir obtenu au préalable un siège au conseil municipal. Sa victoire, il la doit à trois partis: Israel Beitenou (droite nationaliste), Shass (ultra-orthodoxie séfarade) et Yaadout Hatorah (ultra-orthodoxie ashkénaze). Avigdor Lieberman (Israel Beitenou) et Aryeh Dery (Shass) ont notamment joué un rôle crucial en sa faveur. Autant dire qu’il sera pieds et poings liés à ces trois entités politiques pour toutes les décisions concernant Jérusalem. Et ce même si ce pouvoir sera contrebalancé par «Hitorerut», le parti de Berkovitch qui avec d’autres petits partis, représente plus d’un tiers du conseil municipal.
Vent de rébellion chez les «noirs»
Si cette élection est particulière, c’est aussi qu’outre les tensions intercommunautaires, elle a vu apparaître des querelles et des désobéissances dans une communauté qui n’aime pas les montrer: les ultra-orthodoxes. D’abord, personne n’était vraiment d’accord sur le candidat à soutenir, ce qui explique pourquoi les haredims (craignant-Dieu) ont milité pour pas moins de cinq partis différents et trois candidats.
Ensuite, lorsque le mot a été donné de soutenir Moshe Leon, un courant de l’ultra-orthodoxie a fait rébellion: les hassidims. Le Conseil des Sages de la Torah n’a en effet donné aucune consigne à ses fidèles, laissant libres de choisir quelque 30’000 personnes qui en partie, se sont tournées vers Ofer Berkovitch. «Comment le parti Yaadout Hatorah qui réunit ces ultra-orthodoxes ashkénazes va-t-il gérer ces dissensions au Parlement, sur le plan national? Ça va être très intéressant», relève Gayil Talshir, chercheuse en science politique à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Troisième révolution au pays des «noirs», comme on les appelle en Israël: plusieurs ont désobéi aux consignes de vote de leur rabbin. Un acte de défiance rare qui peut s’expliquer par le fossé générationnel entre la jeune génération des haredims et leurs rabbins toujours plus vieux, pas toujours à même de comprendre le monde moderne dans lequel vivent leurs ouailles.
Une épouse bien seule
Aux yeux de certains Israéliens laïques qui vivent à Jérusalem, ces élections ne changent rien à l’affaire: la ville déjà très religieuse (79% de sa population juive est pratiquante, voire très pratiquante) se transforme en règne de l’ultra-orthodoxie. «L’épouse de Moshe Leon était la seule femme visible sur les photos le montrant la nuit de la victoire, entourée de centaines de haredims au Mur des Lamentations», déplore Gayil Talshir.
Plus largement, la chercheuse relève que l’expansion de la population ultra-orthodoxe «qui cherche à acheter des appartements aussi dans des quartiers laïcs, puis à y ouvrir des écoles religieuses», pousse la population laïque à partir s’installer en périphérie voire dans d’autres villes comme Tel-Aviv. Une tendance que l’élection de Moshe Leon pourrait accentuer alors que l’économie de la ville, décrite par un éditorialiste du quotidien Haaretz comme «la plus pauvre, la plus sale, la plus religieuse et la plus divisée» du pays, dépend beaucoup des emplois et des services fournis par sa population moins observante.