«Les Israéliens veulent que le gouvernement prenne ses responsabilités»
La semaine dernière, deux jeunes filles de douze et seize ans, Silvana Tsegai et Yara Ayoub, ont été assassinées à Tel-Aviv. Elles ont ainsi rejoint la triste liste des 22 femmes tuées de violences domestiques depuis début 2018 en Israël, selon les chiffres de l’Organisation sioniste internationale des femmes. Une année noire alors qu’entre 2016 et 2017, seize victimes de ce type de crime avaient été répertoriées contre treize entre 2014 et 2015.
Indignés par la mort de Silvana et de Yara, les Israéliens ont défilé mardi par milliers dans le pays sous des slogans tels que «C’est une urgence» ou «Je suis une femme et je suis en grève». Les manifestants reprochaient au gouvernement de Benjamin Netanyahou sa passivité: l’État n’a toujours pas débloqué les 67 millions de dollars approuvés l’an dernier pour prévenir la violence contre les femmes. Quant au Parlement, il a voté contre l’établissement d’un comité d’investigation parlementaire sur le féminicide en Israël.
Un crime dont les victimes sont d’autant plus invisibilisées que quasi la moitié sont d’origine palestinienne. «Nous sommes discriminées de plusieurs manières: en tant qu’Arabes et en tant que femmes», affirmait la semaine dernière Samah Salaime, une activiste féministe, au quotidien Haaretz.
Chercheuse en genre et criminologie à l’Université hébraïque de Jérusalem, Inbal Wilamowski milite depuis plus de vingt ans contre ces violences, «et c’est la première fois que j’assiste à un tel engouement pour la cause des femmes.» Elle a répondu à nos questions dans le bus qui la ramenait de la principale manifestation qui a eu lieu à Tel-Aviv.
Qu’est-ce qui explique l’ampleur de la mobilisation d’aujourd’hui?
Les Israéliens veulent que leur gouvernement prenne ses responsabilités et s’occupe de ses citoyens – de tous ses citoyens. Notre démocratie traverse un certain nombre de crises – la corruption, les blocages à la Haute Cour de Justice. Face à tout cela, la population exige des actes démocratiques. Le fait que les Israéliens aient été massivement touchés par la mort de Silvana qui était fille d’une réfugiée, et par Yara qui était Arabe, me donne de l’espoir.
Vous reprochez au gouvernement sa passivité à l’égard des violences faites aux femmes. Comment expliquez-vous cette attitude?
Par le fait que désormais, les partis politiques ne s’intéressent plus qu’au pouvoir. Israël est un pays libéral et en adoptant cette approche dans les années 1980, il a peu à peu délaissé l’aide à ses citoyens les plus vulnérables. Il y a vingt ans, l’État finançait bien plus généreusement tous les programmes destinés aux femmes, aux enfants, aux pauvres… Désormais, tout repose bien davantage sur le travail des ONG qui sont heureusement nombreuses et très actives.
Plusieurs religions et cultures coexistent en Israël. Quel impact cela a-t-il sur le travail des organisations qui cherchent à prévenir les violences domestiques?
La diversité des contextes complexifie leur tâche. Elles ne peuvent évidemment pas dire à une femme bédouine d’abandonner sa culture ni à une juive ultra-orthodoxe de quitter la religion, mais elles mettent en avant leurs droits en tant que citoyennes. Cela dit, le message a été intégré et les Arabes ou les ultra-orthodoxes sont aujourd’hui nombreuses à s’engager pour les femmes de leur communauté.