Israël reconfine à la veille du nouvel an juif et de Youm Kippour
Quatre fois par an depuis dix ans, Zohar Ginsberg s'envole d'Israël vers l'Ukraine pour prier sur la tombe de Rabbi Nachman de Bratslav, le fondateur du mouvement hassidique de Bratslav. Des visites qui l’ont particulièrement marqué là l’occasion de Rosh Hashana, le nouvel an juif, lorsque des dizaines de milliers de disciples du rabbin – pour la plupart des haredi, ultra-orthodoxes – affluent vers sa tombe dans la ville d'Ouman, au centre de l'Ukraine.
Ainsi, en août, lorsque le gouvernement ukrainien a annoncé que les Israéliens ne devaient pas se rendre à Ouman en raison de la menace liée à la pandémie de coronavirus, Zohar Ginsberg s'est empressé de réserver un vol avant que l'Ukraine ne ferme ses frontières. À la mi-septembre, selon le New York Times, les gardes-frontières ukrainiens avaient bloqué l'entrée de centaines de hassidim (courant du judaïsme haredi, ndlr.) à la frontière entre la Biélorussie et l'Ukraine.
«J'ai prié sur la tombe du rebbe (maître dans le mouvement hassidique, ndlr.) pendant dix ans d'affilée, et je ne voulais pas m'arrêter maintenant», formule Zohar Ginsberg depuis Ouman. «Bien que Dieu entende nos prières tout au long de l'année, on dit que pendant Rosh Hashana, nos prières sont entendues encore plus fort. Je suis sûr que c'est beaucoup plus important que le virus ou autre chose de ce genre.»
Coup de massue
Les responsables de la Santé israéliens ne partagent pas cet avis. En Israël, pays saint pour les juifs, les musulmans et les chrétiens, le débat sur le droit des citoyens à se rassembler pour prier en pleine pandémie se poursuit depuis mars, lorsque les autorités ont fermé toutes les églises, mosquées et synagogues du pays pour empêcher la propagation du virus.
Bien que le pays ait rouvert en mai, avec certaines restrictions, le débat «religion versus santé» a pris une nouvelle urgence ce mois-ci, le taux de cas de coronavirus ayant grimpé en flèche.
Selon le Ministère de la santé, entre 4000 et 5000 personnes par jour sont testées positives au coronavirus, et plus de 1000 en sont déjà mortes. Le gouvernement s’est alors décidé à annoncer un deuxième confinement général, qui commencera le 18 septembre au soir, quelques heures avant le début de Rosh Hashana. Cette fermeture de trois semaines, qui oblige les Israéliens à rester dans un rayon de 500 mètres autour de leur domicile, est non seulement programmée à cette période pour profiter du creux de la période des fêtes, mais aussi en raison du rôle avéré que les institutions religieuses surpeuplées ont joué dans la prolifération du virus au printemps.
Réactions opposées
Pour de nombreux juifs israélien, les restrictions sévères quant au nombre de fidèles pouvant prier ensemble à l'intérieur et à l'extérieur d'une synagogue suscitent une énorme déception, tant ils se retrouvent privés des expériences spirituelles qu'ils chérissent et ce pendant la période la plus sainte de l'année.
«Pour les juifs qui prient dans une synagogue tous les jours ou toutes les semaines ou même seulement pendant les vacances, cette décision est très difficile», souligne le rabbin David Stav, président de Tzohar, la plus grande organisation rabbinique d'Israël. «Rosh Hashana et Yom Kippour sont des sources d'inspiration», poursuit-il. «Les synagogues sont beaucoup plus fréquentées. Il y a des juifs qui viennent à la synagogue juste pour entendre les sons du shofar», la corne de bélier soufflée à ces occasions.
Pour le rabbin, le confinement reste cependant nécessaire. «Nous sommes en guerre contre le virus», assène-t-il. «Et nous devons utiliser tous les moyens pour le vaincre.»
Tous les juifs pratiquants d’Israël ne semblent cependant pas décidés à se conformer aux ordres de bouclage. Les responsables des villes ultra-orthodoxes en Israël ont d’ailleurs déclaré au journal Haaretz qu'ils s'attendent à ce que des dizaines de milliers de fidèles ignorent le verrouillage, et la police sera incapable d'appliquer des fermetures massives.
«Ce confinement sera davantage pour les non-religieux», émet un des responsables religieux. «Pour les haredim, la vie continuera comme d'habitude.» Et de prédire de «graves violences» si la police stationnée à l'entrée des synagogues essayait d'empêcher les grands services de prière. «Rosh Hashana dans les régions hassidiques va être l'un des plus durs fléaux liés au coronavirus», conclut-il.
Sentiment de persécution
Gilad Malach, directeur du programme consacré aux ultra-orthodoxes à l’Institut israélien de la démocratie à Jérusalem, relève que Ya'acov Litzman, un législateur ultra-orthodoxe, a démissionné cette semaine en raison de la décision du gouvernement d'interdire aux Israéliens de se rendre en pèlerinage à Ouman et de limiter le nombre de personnes qui peuvent prier ensemble en Israël.
La démission de Ya'acov Litzman «reflète le sentiment très fort de la communauté ultra-orthodoxe, qui éprouve actuellement une grande méfiance à l'égard des politiques du gouvernement», observe le chercheur. Les juifs haredi «se sentent isolés» et «discriminés» par les limitations permanentes du gouvernement sur le nombre de fidèles autorisés à l'intérieur et à l'extérieur des lieux de culte, explique-t-il, alors que des millions d'Israéliens laïques ont afflué sur les plages et dans les restaurants, et que les manifestants anti-gouvernementaux ont organisé des manifestations hebdomadaires à grande échelle tout au long de l'été. Le fait que ces manifestations puissent se poursuivre pendant le confinement alimente encore leur sentiment d'être montré du doigt, poursuit-il.
Un «Woodstock spirituel»
Pour ceux qui, comme Zohar Ginsberg, ont réussi à sortir d'Israël et à se rendre à Ouman avant la fermeture des frontières, ils prévoient de continuer leur pèlerinage comme d'habitude – ou presque, du moins.
Alors que le gouvernement ukrainien considère les fidèles qui se rendent à Ouman comme de potentiels super-diffuseurs de virus, l’Israélien estime que les visiteurs peuvent très bien prier tout en respectant les mesures sanitaires.
Le professeur Benjamin Brown, du département de la pensée juive de l'Université hébraïque, formule qu'il n'est pas surprenant que les disciples de Nachman placent les pèlerinages au-dessus des préoccupations concernant le coronavirus. Ce rabbin, mort en 1810 à l'âge de 38 ans, prêchait que les gens devaient vivre dans la foi, la simplicité et la joie, et qu'ils devaient rechercher la personne juste en eux-mêmes.
«Les Hassidim sont censés s'attacher à leur rebbe, puis à son successeur, mais le Rav Nachman n'avait pas de successeur», pointe-t-il. «Donc ses disciples continuent de s'attacher à lui à travers les livres qu'il a écrits et sa tombe.»
Ceux qui vénèrent le défunt rabbin sont des «chercheurs spirituels». Les générations plus âgées ont risqué leur vie pour se rendre sur sa tombe, même pendant les jours les plus sombres du régime soviétique, rappelle encore Benjamin Brown. «Rosh Hashana à Ouman est un Woodstock spirituel.»
Zohar Ginsberg est d'accord. «Aucun hassidique de Bratslav ne voudrait manquer Rosh Hashana à Ouman», dit-il. «Rabbi Nachman a dit que le jour de Roch Hachana, Dieu peut réparer les gens qui ne peuvent l’être à un autre moment.»