L’aumônerie de l’Université de Genève accusée de propagande
«Propagande», le mot est lâché. Dans une question soumise le 3 juin 2020 au Conseil d’État genevois, une députée au Grand Conseil de Genève, la PLR Natacha Buffet-Desfayes, l’emploie sans détour. Alertée par des membres de l’Université de Genève (UNIGE) dont elle ne souhaite pas préciser s’il s’agit de professeurs ou d’étudiants, celle qui préside par ailleurs l’association «La laïcité, ma liberté» s’interroge: «L’Université respecte-t-elle la loi sur la laïcité de l’État (LLE), votée par le peuple de Genève en avril 2018?» Mettant en cause la place d’une aumônerie œcuménique (catholique et protestante) au sein de l’UNIGE et lui prêtant une action prosélyte, la politicienne demandait au Conseil d’État des précisions sur le cadre légal de cette cohabitation entre un service public d’État et une infrastructure religieuse. Elle soulignait dans sa question son étonnement en s’apercevant que cette dernière «ne figure pas dans la liste des associations reconnues ou enregistrées par le rectorat». À la fin du document soumis à l’Exécutif, Natacha Buffet-Desfayes demandait, en outre, si aucune base légale ou réglementaire ne saurait lui être présentée, «dans quels délais l’aumônerie de l’Université serait fermée et ses locaux restitués à la mission universitaire».
Dans sa réponse, le Conseil d’État précise et justifie le cadre légal, notamment au moyen d’articles de la loi sur l’université. Mais le rappel d’une «disposition spécifique sur l’accompagnement philosophique, spirituel ou religieux pour des personnes privées de leur liberté, en situation de vulnérabilité ou de handicap» que prévoit la nouvelle loi sur la laïcité de l’État ne semble pas suffire à Natacha Buffet-Desfayes. «Cela ne me convainc pas. J’ai à nouveau consulté les rédacteurs de la LLE et ils m’ont assuré que l’article 8, qui précise que les établissements tels que les prisons ou les hôpitaux peuvent abriter un service spirituel, est exhaustif. Malheureusement, les aumôneries universitaires n’y sont pas mentionnées.» Contacté à ce propos, le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP), conduit par Anne Emery-Torracinta, n’y voit pas quant à lui une liste exclusive: «Cela ne veut pas dire que ce type d’accompagnement est interdit dans d’autres contextes.»
Enquête du rectorat
Si le Conseil d’État avait garanti en juin dernier la neutralité religieuse de l’Université, il s’est toutefois dit enclin à engager une réflexion avec le rectorat sur «la place et le cadre des activités de l’aumônerie» au sein de l’UNIGE. «Le rectorat a dû mener l’enquête», déclare Jean-Michel Perret, aumônier protestant. «Mais il a rapidement été démontré que nos activités, à savoir des entretiens individuels, des repas le vendredi et un chœur de gospel, étaient en tout point connues par l’Université et qu’elles ne dépassaient pas les limites de l’organe de médiation qu’est l’aumônerie.» Une information confirmée par Anne Laufer, responsable des affaires publiques de l’UNIGE. Le rectorat a toutefois décidé, pour répondre aux interrogations du DIP, d’établir un document officiel sur cette cohabitation qui dérange. «Nous travaillons actuellement à une charte entre l’aumônerie et l’Université», précise-t-elle. «Elle ne changera rien à la pratique habituelle, mais précisera par écrit les relations entre l’aumônerie et l’Université, dans un but de clarification et de transparence.»
Parmi ces points de friction, figurait notamment la question de la protection des données des étudiants, ceux-ci étant tous contactés, chaque année, pour les portes ouvertes. «L’accès aux adresses électroniques d’étudiants et collaborateurs de l’Université n’a jamais été donné à l’aumônerie», rassure Anne Laufer. «Les communications concernant les services à la communauté universitaire sont modérées par le service de communication, qui les redistribue ensuite.»
Problème de concepts
Alors, de la propagande, vraiment? Le Comité d’éthique et de déontologie de l’UNIGE, à la demande du DIP, en décidera, puisqu’il consultera le projet de charte qui, selon Anne Laufer, devrait être finalisée avant la fin de l’année. «Si proposer quelque chose, c’est faire de la propagande, alors tout le monde en fait à peu près. Et notre but n’est en tout cas pas de faire des adeptes», déclare la sœur Rossana Aloise, aumônière catholique à l’UNIGE. «Blessée» et assurant qu’elle n’aborde la question religieuse avec un étudiant qu’en cas de demande clairement formulée, cette dernière s’étonne de n’avoir pas été visitée par la députée, ou l’un de ses collaborateurs, avant que ne soit faite cette interpellation. Un fait qui n’étonne pas vraiment Jean-Michel Perret, qui voit avant tout dans cette action politique le symptôme d’une aveugle «laïcardisation de la société».
«Cette députée est manifestement mal renseignée. Elle voit des problèmes où il n’y en a pas. Nous avons une grande expérience de ce type d’aumônerie et la confiance des autorités académiques. Du coup, le propos, hors contexte, tourne à vide», analyse Blaise Menu, modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de l’Église protestante Genève, qui rappelle que les Églises catholiques (romaine et chrétienne) et protestante du canton s’étaient fortement engagées pour l’acceptation populaire de la LLE. «Nous n’avons besoin de littéralistes nulle part. Ni du côté de représentants religieux qui ne sauraient pas se situer dans un registre de service public – il en existe en effet, mais pas chez nous –, ni de la part des militants laïcs. Bannir le religieux n’est pas dans l’esprit de cette loi ni dans l’expérience qui y a conduit.»
Cependant, pour Natacha Buffet-Desfayes, la laïcité ne saurait être respectée sans que l’aumônerie ne change de statut. «Elle doit être régie par les mêmes règles que toutes les autres associations de l’Université, et ainsi en devenir une. Je ne crois pas savoir qu’il soit possible pour l’Université, à l’heure actuelle, de demander ses bilans et ses statistiques à l’aumônerie en place.» Désireuse de voir «chacun logé à la même enseigne», Natacha Buffet-Desfayes, qui dit ne pas être au courant de l’avancée des travaux de régulation entrepris par le rectorat, promet de demander des comptes au Conseil d’État dans très peu de temps. «Si je n’ai toujours rien vu venir d’ici au mois de mai, je pense à nouveau repasser par une question écrite, en reprenant les points principaux de la première.»