Samuel Ngayihembako: il est grand temps d'ordonner les femmes
Il se sent comme chez lui dans l’aile Jura de l’Uni Bastions, qui abrite la Faculté de théologie de l’Université de Genève. Normal, puisqu’il y a étudié durant six ans avant de retourner dans son pays natal pour y enseigner. Il est aujourd’hui président et représentant légal de la Communauté baptiste au centre de l’Afrique (CBCA), forte de 450 000 membres. Son Église contribue depuis des années à suppléer l’État dans nombre de tâches.
Fondement de ma foi
Son parcours est singulier. Né dans la province du Nord-Kivu, au nord-est du pays, Samuel Ngayihembako (62 ans) est issu d’une famille protestante pratiquante. Son père, baptiste, est catéchiste : «Après mes études secondaires, j’ai décidé d’étudier la théologie pour comprendre davantage ce qui fondait ma foi. Je voulais aussi être utile à mon Église en occupant un ministère en son sein.»
L’étudiant quitte ainsi sa région natale pour passer sa licence en théologie à l’Université protestante au Congo (UPC), à Kinshasa, puis devient assistant en Nouveau Testament. Ses professeurs lui obtiennent une bourse de la Mission de Bâle, une société missionnaire protestante fondée en 1815, pour qu’il puisse continuer sa spécialisation en Europe. C’est ainsi qu’il atterrit à Genève en 1984 pour six années entrecoupées d’allers-retours en Belgique, qui accorde un visa à sa famille, contrairement à la Suisse.
Parallèlement à ses études à Genève, Samuel Ngayihembako s’inscrit comme étudiant à l’Université catholique de Louvain, sésame pour passer du temps avec ses proches. Il obtient ainsi un second diplôme en sciences ecclésiastiques : «Cet enseignement me permet d’ajouter une dimension à ma formation en Nouveau Testament. Mes étudiants en profitent encore aujourd’hui.»
A l’issue de son doctorat, il ne cède pas à la tentation de rester en Suisse même si dans son pays régnait déjà une situation politique difficile: «Je devais vivre là-bas, au milieu de mes frères et soeurs, et souffrir avec eux. Au Congo, j’allais être plus utile pour servir mon Église et le Christ qu’à Genève où les pasteurs sont bien formés et où plusieurs spécialistes du Nouveau Testament enseignent déjà. »
Trois ans plus tard, très touché par la deuxième vague d’émeutes et de pillages généralisés – durant laquelle il perd tout –, il quitte Kinshasa pour sa province d’origine. Ces quinze dernières années, ce père de sept enfants – tous engagés dans leur Église – a occupé différentes fonctions, notamment celles de doyen et de recteur à l’Université Libre des Pays des Grands Lacs (ULPGC), à Goma. Malgré les 5 000 kilomètres qui le séparent de Genève, il conserve de nombreuses amitiés dans la Cité de Calvin. Des liens qui ont permis d’initier des échanges entre les deux Facultés de théologie. «Des professeurs viennent régulièrement de Genève pour des missions d’enseignement et participent à des conférences. Quant à nous, professeurs à Goma, nous venons nous ressourcer ici, profiter de la richesse des bibliothèques et intervenons dans des cours pour présenter la situation que nous vivons en Afrique», explique Samuel Ngayihembako.
Les Églises supplantent l'État
La situation politique en République démocratique du Congo étant très précaire depuis des années, l’État ne joue plus son rôle. «Les Églises assument la plupart des tâches qui devraient lui revenir, gérant notamment les hôpitaux et la plupart des écoles. Ce sont elles qui développent des projets pour aider la population et qui s’occupent de tout ce qui est social. Les femmes tiennent une grande place. Ce sont elles qui portent les familles, nourrissent et éduquent les enfants», précise-t-il.
«L’appui des femmes a longtemps été sous-estimé. Nous voulons faire évoluer les mentalités. Le prochain défi de mon Église est leur ordination au ministère pastoral. Il est grand temps ! Pour y arriver, il faut à la fois sensibiliser les gens et préparer des femmes à être pasteures», précise Samuel Ngayihembako. Pour l’heure, les femmes officient dans les ministères d’évangélisation, les aumôneries des écoles, des hôpitaux et des services publics, mais ne peuvent pas poser des actes spécifiquement pastoraux, tels que la direction de la sainte cène ou la bénédiction d’un mariage. C’est pour changer cela qu’il a proposé à l’Église protestante de Genève (EPG) de soutenir financièrement un projet de ministère féminin inédit au nord-est de la République démocratique du Congo, qui aboutira, à terme, à l’ordination d’une douzaine de jeunes femmes.
Bio express
1956 Naissance dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo.
1984-1990 Étudie et obtient son doctorat à la Faculté de théologie de l’Université de Genève. Parallèlement, est diplômé en sciences ecclésiastiques de l’Université catholique de Louvain.
1990 Commence à enseigner le Nouveau Testament à l’UPC de Kinshasa.
1993 Rejoint sa province d’origine pour enseigner le Nouveau Testament à l’ULPGL de Goma.
Août 2017 Est élu président et représentant légal de la CBCA.
Mai-juin 2018 Passe plusieurs semaines à Genève. A l’invitation du comité central du conseil oecuménique des Eglises (COE), il représente son Eglise lors de sa cérémonie d’adhésion au COE.
Projet de ministère féminin
Ce printemps, le président de l’EPG, Emmanuel Fuchs, a présenté le projet de financement de la formation académique et pastorale d’une douzaine de jeunes femmes de la CBCA lors de la Conférence des présidents de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (FEPS). Sept églises cantonales se sont déjà jointes à l’EPG pour contribuer à financer ce projet qui se monte à environ 20'000 Frs.