Cent ans après, une pensée à actualiser
Le Römerbrief de Karl Barth 100 ans plus tard, quelle actualité? : le thème du colloque international organisé par la Faculté de théologie de l’université de Genève en juin prochain pose la question de la pertinence pour aujourd’hui de celui qui était, selon le pape Paul VI, le plus grand théologien du XXe siècle.
Même si certaines questions soulevées sont datées et que son commentaire sur l’Epître aux Romains a perdu une partie de sa substance avec le temps, pour François Dermange, professeur d’éthique et membre du comité d’organisation de ce colloque, la pensée de Barth parle toujours. Et le changement de contexte – son écrit le plus célèbre a été publié au sortir de la Première Guerre mondiale, dans une période de conflits théologiques et sociaux – n’a pas pour autant rendu désuète la pensée de théologien.
«On se retrouve aujourd’hui dans une situation assez proche de 1918, où l’on avait perdu beaucoup d’idéaux et où l’on devait trouver un nouveau souffle. Le XXe siècle a proposé un grand nombre d’idéologies désormais un peu épuisées. De même, aujourd’hui, notre christianisme est tiède. On le présente volontiers comme l’une des offres, j’allais presque dire de bien-être, à côté du yoga et du Pilates. Qu’est-ce qui donne du sens à la foi chrétienne?», questionne François Dermange.
Retour aux sources
Pour essayer de restituer la foi dans sa radicalité, Barth retourne aux sources, comme avant lui Augustin au IVe siècle puis les réformateurs au XVIe siècle. En proposant une nouvelle lecture de l’oeuvre principale de l’apôtre Paul, l’Epître aux Romains, il s’inscrit dans la grande tradition théologique qui revient aux textes fondamentaux pour les commenter. «La lecture de l’Epître aux Romains lui permet de mettre en avant Dieu comme radicalement différent. Dieu ne s’inscrit pas dans les schémas du monde», précise Andreas Dettwiler, professeur de Nouveau Testament et également membre du comité d’organisation du colloque genevois.
La foi chrétienne, pour Barth, c’est être mis en rapport avec un Dieu entièrement différent de nous, le Tout-Autre. Il ne faut pas répéter ce qu’il nous dit sinon ce ne serait plus le Tout-Autre qui parle, mais nous. Or, personne ne peut usurper la voix du Tout-Autre. «Le paradoxe de ce Tout-Autre est qu’il se révèle dans la particularité d’un homme qui est Jésus. Il s’agit d’une théologie très christo-centrée. C’est une théologie dialectique: des choses qui paraissent contraires sont également vraies», poursuit Andreas Dettwiler.
Qu’entend-t-on vraiment par dialectique ? Une construction toujours en mouvement, avec deux pôles qui se contredisent. Comme Dieu qui se révèle en se cachant. Il n’y a ni point de synthèse ni réponse. «Les questions ne sont pas importantes pour Barth, car nous ne pouvons donner de réponses. Seul Dieu les donne. Barth nous oblige à tenir compte de choses que l’on ne veut pas voir, comme la transcendance de Dieu. Dieu est entièrement différent de nous. En cela, c’est une pensée qui reste actuelle et profondément provocante cent ans plus tard», explique François Dermange.
Se confronter au texte
Les grands textes – dont son commentaire de l’Epître aux Romains – gardent leur force dans leur mise en question et leur tentative de repenser l’être humain d’une manière originale. Barth est souvent le plus fort là où il met en doute nos certitudes, nouveau parallèle avec notre époque où l’on conteste nombre de choses. Il voulait nous laisser nous interroger, nous confronter directement avec le texte.
Pour François Dermange, Barth peut nous aider à penser l’Eglise de demain : «Il y a aujourd’hui deux voies possibles, dont la voie barthienne qui dirait d’abord de penser la relation de chaque croyant avec Dieu. L’Eglise doit se contenter de poser des questions sans donner de réponses. Barth n’est pas du tout de l’avis d’une Eglise communautaire, mais attaché à la relation de chacun à Dieu.» Il faut laisser à Dieu sa liberté. Peutêtre qu’Il dira à l’un de faire ceci et à l’autre de faire autre chose. Doit-on repenser l’Eglise à partir de la relation de chacun à Dieu dans sa radicalité ou à partir d’un mode de vie communautaire? Ce débat reste d’actualité
Chroniques courtes et percutantes
La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) publie depuis début janvier 2019 de courtes chroniques sur la vie personnelle et professionnelle de Karl Barth.
Toutes les deux semaines, la FEPS met en ligne des textes courts – en français et en allemand – écrits par de jeunes théologiens, des doctorants et des pasteurs. Elles sont à découvrir sur le site qui a été créé afin de recenser les événements organisés en 2019 tant en Suisse qu’en Allemagne dans le cadre de l’année Karl Barth. Vous y découvrirez également de nombreux documents : correspondance, textes, citations, souvenirs de ses rencontres et photos notamment. La faîtière des Eglises protestantes de Suisse a souhaité privilégier les contributions d’auteurs moins spécialisés afin de porter un nouveau regard sur les vies personnelle et professionnelle du Bâlois. Ces chroniques sont destinées à un large public et non à des lecteurs initiés. La FEPS cherche ainsi à présenter différentes facettes de Karl Barth plutôt que d’introduire les lecteurs à sa théologie.
Chacun des auteurs choisis abordera un thème différent, par le biais d’anecdotes concrètes, d’épisodes amusants ou inattendus, de réflexion à partir d’un sermon, d’activités plus ou moins connues, de souvenirs révélateurs de sa personnalité, de pensées et de moments charnières de sa vie. Sa dévotion pour Mozart et son inséparable pipe, notamment, inspireront des commentaires.
Info: www.karl-barth-jahr.eu
Livre photos
Une partie des images de ce dossier ont gracieusement été mises à disposition par les Archives Karl Barth à Bâle. Son responsable Peter Zocher vient de publier un ouvrage qui regroupe des photos et des documents inédits du théologien.
Conférences début juin 2019 à Genève
Le colloque international et multidisciplinaire organisé par la Faculté de théologie de l’Université de Genève aura lieu du 5 au 7 juin 2019. Le comité d’organisation n’a pas uniquement sollicité des experts de l’oeuvre de Karl Barth, mais également des biblistes (Beverly Gaventa), des politologues (Pierre Manent), des philosophes et des philosophes de la religion (Jean-Luc Marion) afin de profiter d’un regard extérieur. La nouvelle génération est largement représentée avec une dizaine de jeunes chercheurs de divers continents parmi plus de trente contributeurs. Les deux conférences publiques s’adresseront plutôt à un public spécialisé.
Colloque international Le Römerbrief de Karl Barth 100 ans plus tard, quelle actualité?, 5 au 7 juin, Université de Genève.