Virginia Markus: «Je me sens reliée dans le subtil à l’ensemble du vivant»
Depuis cinq ans, l’autrice et militante des droits des animaux se consacre corps et âme à quarante vaches, moutons, cochons et lapins. Animaux qui ont échappé à la boucherie, recueillis au sanctuaire qu’elle a fondé à Frenières-sur-Bex. Après les années d’actions confrontantes, mais sans violence – installation nocturne de caméras dans des abattoirs, libération d’animaux, entraves à la construction d’un abattoir –, Virginia Markus poursuit son but, autrement.
Au sanctuaire, elle organise des événements et des visites, dispense des formations pour la conception et la gestion de lieux d’accueil pour animaux dits «de rente» et accompagne des éleveurs en quête de reconversion. Admiratif, l’écrivain Antoine Jaquier se dit frappé par «le respect gagné auprès des agriculteurs locaux. Eux comprennent la responsabilité de s’occuper d’animaux, parfois blessés. Certains expriment leur malaise face à l’ambiguïté d’aimer des animaux qu’ils vont tuer. Son association, Co&xister, aide des professionnels à aligner éthique et pratique».
Aimable et concentrée, Virginia Markus fait visiter le domaine et répond à toutes les questions avec vivacité, clarté et précision. Peu d’émotions: sa démarche est avant tout rationnelle. Elle découle pourtant d’une sensibilité particulière. Enfant, Virginia s’entendait mieux avec ses chats, chiens, lapins et des chevaux, qu’avec les autres enfants. «Nous nous comprenions sans avoir besoin de mots, sans les codes, attentes, déceptions qui parasitent la communication humaine. J’ai toujours eu un côté très brut dans ma manière d’entrer en relation. Frontalement et sans arrière-pensée, comme les animaux.»
Végétarienne à 18 ans, végane à 24 ans, le déclic lui vient d’un éleveur: pourquoi sépare-t-il de sa mère le veau nouveau-né? «Pour que tu puisses manger du fromage.» Choc: le veau n’est «qu’un déchet de l’industrie laitière». Sans veau, pas de lait, mais s’il tète, adieu fromage et beurre. «L’humain est la seule espèce animale qui, à l’âge adulte, consomme sans nécessité le lait maternel d’une autre espèce et extermine ses petits. En niant l’impact de cette pratique sur l’environnement et la santé humaine.»
La suite est cohérente. A côté de son travail d’éducatrice, Virginia Markus mène l’enquête sur la filière, interroge ses acteurs, sans cacher sa position. Son premier livre, Industrie laitière – Une plaie ouverte à suturer, témoigne de sa rigueur intellectuelle. S’opposer physiquement à l’exploitation des animaux ne suffit pas, elle veut alerter l’opinion publique pour que, concernée, elle impose l’évolution d’un système obsolète. Les animaux de rente devraient avoir les mêmes droits que les animaux de compagnie. Et «à terme, tous devraient être émancipés». Virginia Markus travaille à un objet parlementaire interpartis modifiant l’Ordonnance de protection des animaux. Mêmes droits aux animaux de rente sortis du circuit de la production alimentaire qu’aux animaux de compagnie! Chaque jour passé avec ses pensionnaires renforce son credo. «J’ai appris bien plus avec eux qu’à l’école d’éducation sociale…» lâche-t-elle avec un sourire. Elle cite Maman Ondée, la truie qui d’instinct sait à la fois donner à ses petits l’attention et la chaleur nécessaires et les pousser hors de son espace vital, pour elle et pour qu’ils conquièrent vite leur autonomie.
BREF souhaite interroger les rapports entre humains et animaux en continuité avec l’édition précédente du festival sous l’angle «Espérer c’est agir». Le festival a invité Virginia Markus pour une conférence le samedi 2 novembre, à 13h30, à Morges (Agora du Cube à Beausobre). Plus d’informations sur battement.ch.
Des enseignements évoqués avec sensibilité dans Ce que murmurent les animaux. Le cheval Tawaki lui a fait cadeau de rêves prémonitoires – elle a pu ainsi désamorcer des situations potentiellement conflictuelles. D’autres l’ont éclairée sur la mort. Comment? «En mourant! Chacun m’a appris quelque chose sur comment on accompagne ce moment-là, intervenir ou pas, comment ressentir ce que veut l’individu.» Le deuil? «Certains entrent en dépression à la mort d’un congénère, d’autres le reniflent, comme un salut, et puis s’en vont. Nous, humains, sommes sûrs qu’il faut souffrir et manifester une profonde tristesse. Or il y a aussi des morts qui se passent très sereinement. C’est pourquoi le sanctuaire propose des cérémonies de deuil pour les humains. Nous l’avons fait pour une amie chère. Je trouvais magnifique d’accompagner le deuil tout en célébrant tous les proches présents, en les ramenant dans le cycle de la vie, pour certains en connexion avec les animaux. Sans refouler la tristesse. Cela a apporté beaucoup de joie et d’insouciance.»
Cadeau d’une agnostique qui a beaucoup lu de textes sacrés de diverses religions sans en adopter une, mais se sent «reliée dans le subtil à l’ensemble du vivant».
Bio express
1990 Naissance à Genève.
2011 – 2012 Stage à la Fondation Eynard à Lausanne, puis engagement en clinique vétérinaire au Qatar.
2014 Commence à militer et pratique le véganisme.
2016 Bachelor en éducation sociale. Travaille à l’association Pro-jet à Nyon.
2016–2017 Pose clandestinement des caméras à l’abattoir de Rolle. Publie Industrie laitière – Une plaie ouverte à suturer? aux Editions L’Age d’Homme.
2018 Fonde l’association Co&xister. Publie Désobéir avec amour.
2019 Crée le sanctuaire de Frenières-sur-Bex et s’y consacre entièrement.
2021 Développe l’accompagnement à la reconversion des éleveurs.
2023 Publie Ce que murmurent les animaux (Bayard) et ouvre une antenne française de l’association Co&xister