«Le protestantisme a l’odeur du propre»
Après la thématique de l’ouïe l’année dernière, la manifestation annuelle «Un temps pour la création» qui célèbre la planète et sa conservation approfondit la question de l’odorat, du 1er septembre au 4 octobre. Temps de réflexion et de remise en question par rapport au consumérisme, ce mois sera ponctué par plusieurs cérémonies œcuméniques en Suisse. Entretien avec Olivier Bauer, spécialiste des odeurs spirituelles.
Alors que dans la plupart des religions, on retrouve de l’encens, des huiles ou des bougies, le protestantisme n’est pas associé à des fragrances à part peut-être celle de l’humidité des temples. Cette confession est-elle sans odeur?
Si l'on pense à des odeurs délibérément choisies, je dirais que oui. Dans la tradition protestante, on n’utilise pas les odeurs pour communiquer quelque chose à propos de Dieu. Le théologien Bernard Reymond fait remarquer que le protestantisme a l’odeur du propre parce qu’historiquement, il y a eu un mouvement hygiéniste auquel a participé cette confession. Et souvent dans les temples, on retrouve une odeur caractéristique de cires ou de produits de lavage, notamment parce qu’il n’y en a pas d’autres. Toutefois, certains protestants utilisent de l’encens ou des bougies parfumées.
Comment l’expliquez-vous?
Le protestantisme est profondément centré sur la parole, sur l’ouïe et sur le chant. A mon avis, on se méfie des odeurs à cause de leur côté trop animal, charnel, voire féminin. Leurs effets ne sont pas maîtrisables. Ainsi, on préfère les supprimer.
Quels sont les rôles des odeurs dans les autres confessions?
Les odeurs sont très représentatives d’une relation avec le divin. La fumée de l’encens, par exemple, monte dans le ciel. Elle est légère, immatérielle, insaisissable et offre une manière particulière de représenter le sacré. Elle symbolise une relation terre-ciel. Certaines personnes diront qu’elles utilisent les fragrances, car c’est prescrit par les textes fondateurs: c’est Dieu qui le veut. Mais, on peut trouver d’autres explications rationnelles. Il y a une fonction de purification. Lors des cérémonies mortuaires, parfois la puanteur était telle à cause du corps en décomposition que l’encens permettait de la couvrir. Je pense aussi qu’il y a une autre fonction: les odeurs peuvent amener à un état second et à mon avis, on a parfois une volonté plus ou moins affichée de provoquer une sorte de transe.
Et dans la Bible, quelles places ont les parfums?
Dans l’Ancien Testament, on mentionne les odeurs qui doivent être présentes dans le culte. Par exemple, des encens tels que l’oliban, le storax, le benjoin, il y en a une liste intéressante. On trouve également, toutes les senteurs liées aux sacrifices animaux et aux végétaux que l’on brûle. Dans l’Ecclésiaste, un passage conseille de se parfumer la tête. Dans le Cantique des cantiques, les amoureux s’échangent des compliments parfumés. Dans l’Evangile, une femme parfume les pieds de Jésus. Le parfum est donc lié à la beauté, à l’amour et à l’esthétique, au plaisir, au bonheur ou à la joie.
Comment interprétez-vous ce verset biblique: «nous sommes pour Dieu la bonne odeur du Christ, pour ceux qui se sauvent et pour ceux qui se perdent» (2 Co 2,15/ TOB)?
Quelle est cette «bonne odeur»? Paul ne l’écrit pas. Est-ce l’odeur de la mort? Un crucifié ne devait pas sentir bon. Mais le cadavre de Jésus n’a pas eu le temps de pourrir. La question est théologique. Elle consiste à se demander quelle est l’odeur de la vie au XXIe siècle.
Alors, pour vous, quelle est l’odeur de la Grâce?
Spontanément, je dirais l’odeur d’un cognac. Celle que se partage Dieu et les êtres humains. Le volume d’alcool qui s’évapore pendant son vieillissement en fût s’appelle la part des anges. Ce qui reste réjouit les humains, mais ce qui se volatilise n’est pas perdu. Je pense aussi aux agrumes. Le côté frais et piquant d’une mandarine ou d’un pamplemousse. C’est lié à mon histoire personnelle et je ne veux pas l’imposer aux autres!