La dure réalité des chrétiens pakistanais
Les chrétiens constituent à peu près 1,6% de la population totale du pays. Le nombre de protestants est plus ou moins similaire à celui des catholiques. Nous nous sommes rendus à Karachi, la capitale économique située au sud, au bord de la mer d’Arabie, où vit une part importante de la communauté chrétienne. La majorité d’entre eux sont des descendants d’hindous de castes inférieures, qui se sont convertis durant la période coloniale anglaise, notamment pour sortir du système discriminatoire des castes. Au XXIe siècle, les fidèles du Christ figurent généralement parmi les basses couches de la société pakistanaise et occupent des emplois subalternes, peu rémunérés, sans réelle opportunité de grimper dans l’échelle sociale.
Il y a quelques mois, le média numérique Global Christian News relayait une information en provenance de Peshawar, une grande ville du nord: «Un organisme gouvernemental a publié une annonce pour un poste de balayeur, en mentionnant l’obligation pour le candidat d’être chrétien. D’autres annonces de ce genre ont été répertoriées dans un pays où la majorité des musulmans méprise les chrétiens considérés comme impurs, contraints d’accepter des postes dévalorisés et parfois dangereux», affirme le journal en ligne. Selon plusieurs sources, les premiers à se convertir au christianisme dans ce qui est aujourd’hui le Pakistan, appartenaient à un groupe d’intouchables appelés Chuhras, dont le métier traditionnel était balayeur. Le terme Chuhra est resté dans le vocabulaire et désigne désormais péjorativement un nettoyeur de latrines, donc fréquemment un chrétien.
Durant notre séjour à Karachi, nous rencontrons Daniel Sadiq, évêque de l’Église du Pakistan qui est rattachée à la Communion anglicane. Cette Église est également membre de la Communion mondiale d’Églises réformées. «Les relations entre les différentes communautés religieuses étaient meilleures avant 1986, année où a été promulguée la loi interdisant le blasphème par le régime du dictateur de l’époque, le général Zia-ul-Haq. Dès lors, des accusations de blasphème, parfois complètement infondées, car alimentées par des disputes personnelles, ont conduit à des émeutes, des atteintes aux lieux de culte, des attentats-suicide et des assassinats», déplore-t-il. Des dizaines de chrétiens ont été jugés coupables de profanation du Coran ou de blasphème contre le prophète Mahomet, ce qui a incité les plus nantis à émigrer. À noter que de nombreux musulmans pâtissent également de cette loi rigoriste.
L’exemple le plus connu est sans doute celui d’Asia Bibi, une chrétienne originaire de la province du Pendjab (est). À la suite d’une altercation avec des musulmanes de son village en 2009, elle est accusée de blasphème et condamnée à mort, avant d’être finalement acquittée début 2019, après de multiples rebondissements. Salman Taseer était gouverneur de la province du Pendjab à cette période et il avait rendu visite à Asia Bibi en prison. Pour avoir tenu des propos critiques à l’encontre de la loi de 1986 contre le blasphème, il sera criblé de balles par un de ces gardes du corps en 2011. Moins de deux mois après le meurtre du gouverneur, c’est au tour de Shahbaz Bhatti, alors ministre des minorités d’être la victime des balles. L’assassinat a été revendiqué par les talibans. Le ministre avait également affiché son soutien à Asia Bibi et blâmé la même loi controversée de 1986.
Dans une moindre mesure, les exactions contre les chrétiens sont motivées par des considérations politiques, notamment depuis l’intervention armée des États-Unis en Afghanistan, pays voisin, en 2001. Selon Ilyas Khan, journaliste à la télévision anglaise BBC, «les attaques contre les minorités religieuses au Pakistan s’inscrivent dans une volonté d’envoyer un message aux occidentaux pour leur rôle en Afghanistan, mais également aux gouvernements successifs pakistanais qui entretiennent des liens étroits avec les États-Unis. Il pourrait aussi s’agir d’une stratégie de l’armée consistant à ne pas mettre tout en œuvre pour empêcher les activistes islamistes de commettre des crimes et de les protéger si nécessaire», analyse-t-il.
À Karachi, nous faisons la connaissance du pasteur Shahbaz Inayat de la United Pentecostal Church. De prime abord méfiant et inquiet à l’idée que des personnes malintentionnées n’écoutent notre conversation, il accepte finalement de s’exprimer: «Au Pakistan, la communauté chrétienne est fière de gérer la direction de lieux d’enseignement prestigieux. Il s’agit d’un réseau national où l’élite musulmane se forme avant d’accéder aux fonctions haut placées. C’est le cas depuis environ 70 ans, mais les enfants de chrétiens, pour la plupart sans le sou, n’y ont pas accès, car inabordables financièrement», s’indigne-t-il.
Fin connaisseur de la minorité chrétienne au Pakistan, le chroniqueur Kaleem Dean propose une piste dans le Daily Times, un quotidien pakistanais de langue anglaise: «Les dirigeants des Églises au Pakistan possèdent des richesses importantes et je les encourage à mettre la main au porte-monnaie pour financer la création d’universités et de centres de formation professionnelle de qualité. Ainsi les enfants des minorités en difficulté auraient le choix entre un cursus plus intellectuel et un autre plus manuel, où ils pourraient apprendre des métiers tels que menuisier, tailleur, soudeur, mécanicien, plombier, électricien, etc. De cette façon, il sera possible d’enrayer la spirale de la pauvreté, de la ségrégation et de l’exclusion», espère-t-il.
Le pasteur Inayat se déplace régulièrement dans le pays pour aller à la rencontre des chrétiens. Pendant l’entretien, il soulève un autre point qui le préoccupe: «Je m’interroge sur l’accaparement des fonds en provenance d’organisations internationales dans notre pays. Chaque année, des millions de dollars sont mis à disposition pour améliorer le quotidien des minorités ethniques et religieuses, or je constate que des développements marginaux. Les Églises doivent agir sur le plan local en mettant en place des programmes d’autonomisation, entre autres pour les femmes, sans rien attendre du gouvernement central», plaide-t-il.
Au Pakistan, il y a une autre minorité mal lotie, celle que forment les hindous, dont les aïeux n’ont pas voulu rejoindre l’Inde, au moment de la création des deux États, en 1947. La communauté est représentée politiquement, tant à l’échelon provincial que national, mais certains observateurs s’accordent pour dénoncer «la corruption endémique des leaders hindous», qui resteraient sourds aux revendications de leur base qui survit tant bien que mal.
Malgré les tourments subis par les minorités religieuses au Pakistan, l’évêque anglican Daniel Sadiq rejette le fatalisme et esquisse une vision optimiste: «La criminalité a globalement baissé dans le pays par rapport à 2013-2014. Il y a moins d’agressions violentes, de meurtres et d’actes terroristes et je pense que cette tendance perdurera. J’espère que nous deviendrons une nation réellement pacifique dans la décennie à venir», conclut-il.