Reprise des offices religieux, à quel prix?
Les croyants reprennent du service. Dès le 28 mai, les offices religieux de toutes les confessions pourront à nouveau avoir lieu en Suisse. Mais la décision du Conseil fédéral s’accompagne d’une injonction: les communautés religieuses doivent, d’ici là, élaborer un plan de protection, en accord avec celui qu’a établi l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la modification de l’Ordonnance 2 Covid-19. Loin d’être refroidies, les intéressées s’y sont toutes pliées. Et pour cause, la reprise coïncide avec la Pentecôte chrétienne, la fête juive de Chavouot et l’hebdomadaire prière du vendredi pour les musulmans.
L’enthousiasme du retour a pourtant laissé place au casse-tête face à une liste de mesures à respecter, longue comme le bras. La tenue des offices religieux dépend notamment d’une hygiène impeccable et d’un nettoyage répété des lieux, et d’une distance minimale de 2 mètres entre les personnes – soit 4m2 par personnes assises et 10m2 pour celles qui se déplacent. Et en cas de doute s’agissant de la garantie du respect des mesures, l’organisateur désigné de l’événement n’aura d’autre choix que de fournir la liste des participants aux instances cantonales compétences, afin d’enrayer une potentielle infection.
Place au silence
«Nous devrons renoncer au chant et à la communion. Selon la théologie réformée, la Parole est au centre, et l’on peut ne pas communier tous les dimanches, mais le chant fait partie de notre ADN. Malgré la joie, la reprise se fait donc en demi-teinte», regrette le pasteur Jean-Baptiste Lipp, président de la Conférence des Églises réformées romandes et membre du Conseil synodal (exécutif) de l’Église réformée vaudoise. «Nous voulons être prudents, surtout après le foyer infectieux qui s’est récemment déclaré lors d’un office en Allemagne, durant lequel les fidèles ont chanté sans masque», ajoute Jean-Luc Ziehli, président du Réseau évangélique suisse.
Pour Charles Morerod, évêque catholique romain de Lausanne, Genève et Fribourg, des alternatives peuvent être imaginées. «Nous pourrons par exemple recourir à un soliste. De courts extraits pourraient aussi être déclamés sous forme de questions-réponses entre le célébrant et l’assemblée.» Quant à l’eucharistie (partage du pain et du vin dans la tradition catholique, ndlr), qui revêt un caractère central de la liturgie, elle est maintenue, mais «il faudra pourtant prendre des précautions extrêmes. La formule "Le corps du Christ, amen" ne sera pas adressée de manière individuelle, mais à l’assemblée. L’hostie sera ensuite lâchée dans la main du fidèle et non pas déposée», détaille l’évêque.
À prendre avec soi
La tradition en prend un coup et aucune communauté n’y échappe. Le 28 mai au soir marquera le début de la fête juive de Chavouot, qui célèbre le don de la Torah sur le mont Sinaï. À cette occasion, «les rouleaux sont sortis de l’armoire, passés de mains en mains et lus. Mais cette année, une personne seulement pourra exécuter ces gestes», explique Sabine Simkhovitch-Dreyfus, vice-présidente de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI). À la synagogue, il faudra désormais apporter son livre de prières, son châle et sa kippa personnelle.
Une ligne dans laquelle s’inscrivent les communautés musulmanes. Chaque fidèle devra amener son propre tapis de prière et le port du masque est obligatoire. «Traditionnellement, les fidèles prient les uns à côté des autres, presque épaules contre épaules. Ceci sera impossible», explique Pascal Gemperli, porte-parole de la Fédération des organisations islamiques de Suisse. Quant aux ablutions avant la prière, elles devront se faire à la maison. «Cela ne fait partie des exigences de l’OFSP, mais dans notre pratique l’eau est aspirée par les narines ainsi que par la bouche», précise Pascal Gemperli.
Ensemble de loin
Non seulement chaque communauté doit adapter ses rituels, mais aussi tenir des comptes d’apothicaires. Les participants aux offices devront respecter 2 mètres de distance entre eux, soit 4m2 à disposition par personne assise. «Dans les grandes mosquées qui peuvent accueillir entre 300 à 400 personnes en temps normal, il faudra réduire à 50 le nombre de participants désormais réunis en même temps. Or bon nombre de nos lieux de cultes se trouvent dans des petits locaux industriels, avec des entrées étroites. Sans compter le fait qu’il faut enlever ses chaussures et qu’il faudra désormais s’inscrire, cela risque de provoquer des files d’attente», rappelle Pascal Gemperli.
Le porte-parole ne peut s’empêcher d’imaginer des scénarios compliqués: «Potentiellement, il faudrait réaliser jusqu’à cinq sessions de prières du vendredi, qui sont celles qui réunissent le plus de fidèles. Les lieux devront être nettoyés entre chacune d’elle. Or, les croyants qui s’y rendent durant leur pause de midi pourraient se retrouver à faire la queue devant l’entrée, à distance les uns des autres, pendant un certain temps, ce qui peut engendrer des tensions, mais aussi avoir un impact professionnel. De plus, de tels rassemblements pourraient déranger le voisinage, voire mener la police à intervenir. La prière est un moment de sérénité et de spiritualité, on risque de rater l’objectif.» Face à l’incertitude, certaines communautés ont choisi de ne pas ouvrir leur porte le vendredi, comptant sur le reste de la semaine pour s’occuper des préparatifs. D’autres remettent tout simplement l’ouverture à une date ultérieure.
Contrôle à l’entrée
Entre l’espace et le personnel à disposition pour garantir le respect des mesures, tous les lieux de culte ne sont pas égaux. Sans compter que certaines communautés qui s’attendaient à une reprise le 8 juin se retrouvent aujourd’hui prises de court. Un report de la reprise est dans ce cas, l’option prise. Pour les autres, l’organisation d’offices dédoublés et le maintien de l’offre en ligne apparaît comme le plus adéquat.
«Il ne sera pas toujours possible de multiplier les messes, par manque de personnel du clergé dans certains lieux», observe Charles Morerod. Et toutes les églises n’ont pas la même capacité, l’évêque craint déjà que certains fidèles se voient refuser l’entrée. «L’exclusion est un gros problème. Il ne sera pas facile, voire dramatique, de devoir l’expliquer aux gens. Il faudra trouver des personnes qui pourront endosser ce rôle.» Quoi qu’il en soit, les communautés doivent donc sortir leur mètre, condamner des bancs, marquer les espaces au sol. «Nous devrons apprendre à ne pas bouger», lâche le pasteur évangélique Jean-Luc Ziehli. Car, une fois en mouvement, les fidèles doivent pouvoir disposer de 10m2 par personne.
«Notre plan de protection est plus sévère que celui qu’a établi l’OFSP. Aux 2 mètres de distance, nous ajoutons l’inscription préalable obligatoire à l’office 26 heures à l’avance et garantissons ainsi la traçabilité en cas d’infection», précise Sabine Simkhovitch-Dreyfus.
Démarrage trop rapide?
La liste des mesures est tout aussi longue que celle des craintes. En annonçant une reprise dès le 28 mai, en lieu et place du 8 juin, le Conseil fédéral aurait-il été trop vite? «Oui, nous sommes pris de court! La volonté de vouloir absolument se retrouver à n’importe quelles conditions n’est pas sérieuse et pas très respectueuse d’une partie de notre population d’Église qui est justement les personnes âgées et vulnérables. Je ne veux pas être responsable d’une nouvelle contamination», réagit Nassouh Toutoungi, prêtre de l’Église catholique chrétienne du canton de Neuchâtel.
Face aux célébrations sans chant, ni cène, ni rassemblement avant ou après l’office, Nassouh Toutoungi aurait préféré avoir plus de temps pour imaginer des célébrations plus créatives.
L’enjeu relationnel
Les retrouvailles, c’était pourtant le moteur de la reprise pour les communautés. «L’enjeu est relationnel. Si les mesures rendront l’office difficile et particulier, il y a un besoin profond de renouer des liens entre les gens malgré tout», explique Jean-Luc Ziehli. Même son de cloche du côté de son collègue réformé Jean-Baptiste Lipp: «Avec le semi-confinement, nous avons revisité nos traditions, en vivant des cultes en ligne jusqu’à parfois oser partager la cène par écrans interposés. Mais cela ne remplace pas la présence ecclésiale, le rassemblement.»
Après un ramadan vécu à la maison par les musulmans, l’aspect social intrinsèque à ce mois de jeûne a aussi manqué. «Il devenait aussi difficile d’expliquer aux fidèles pourquoi les mosquées restaient fermées alors même que les gens pouvaient se rendre au restaurant ou au centre commercial», évoque Pascal Gemperli.
Quant aux juifs et aux chrétiens qui avaient dû respectivement vivre Pessa’h et Pâques privés de célébrations, ils pourront, ce week-end se retrouver pour fêter Chavouot et Pentecôte. «Le Saint-Esprit est consolateur, nous en avons bien besoin», avoue Charles Morerod.