L’humanité du Christ: modèle de perfection ?
La Lettre aux Hébreux le dit: la perfection du Christ rend parfaite toute personne qui le laisse régner en elle (voir Hébreux 5:9). Mais quel est ce modèle de perfection que Jésus représente pour les chrétien·ne·s? En lui, Dieu ne s’est-il pas fait pleinement humain, et n’était-il dès lors pas soumis au péché, comme chacun·e d’entre nous? «Jésus était sans péché; et là résidait sa perfection», confirme Christophe Chalamet. Mais, explique le professeur genevois de théologie systématique, «il ne faut pas comprendre cette réalité de manière moralisante et statique: il s’agit d’autre chose… C’est par sa constante obéissance au Père que Jésus échappe au péché. Et cette obéissance n’était pas automatique pour lui. Il a su bien plutôt la conquérir et la renouveler à tout instant, par sa relation ininterrompue à Dieu et à travers l’action de l’Esprit saint.»
La perfection du Christ n’est donc pas une qualité morale ou une vertu dont la personne de Jésus serait revêtue au départ; elle découle au contraire de sa constante soumission à Dieu, et de l’action de ce dernier en lui. Le théologien protestant allemand Friedrich Schleiermacher l’écrivait déjà au XIXe siècle: «L’impeccabilité du Sauveur tient à la présence toujours vivante et efficace de Dieu dans sa nature humaine.» Et Jésus ne garde pas cette condition pour lui; il la transmet, poursuit Schleiermacher: «L’activité salvatrice du Christ consiste à communiquer son impeccabilité et sa perfection.»
Altérité radicale
C’est donc en entrant dans cette attitude de foi, de soumission au Dieu qui vit en lui ou en elle – un mouvement dont Jésus a montré l’exemple et qu’il inspire – que le·la chrétien·ne peut s’approcher de cette perfection. «Toutefois, à la différence du Christ, nous ne pouvons que nous orienter vers ce but qui est de laisser transparaître Dieu dans nos vies, sans jamais l’atteindre pleinement», avertit Christophe Chalamet.
Attention donc, indique pour sa part Bernard Rordorf, professeur émérite de théologie à l’Université de Genève: la perfection chrétienne, ce n’est pas viser un modèle idéal; c’est bien plutôt s’ouvrir à une démarche de foi. Car voir la perfection comme un idéal ferait courir le risque de «falsifier l’Evangile»: «La sainteté n’est pas un acte héroïque», explique-t-il. «Elle n’a pas à devenir une recherche qui finirait par être narcissique, ou qui culpabiliserait les croyant·e·s…» Et d’ajouter: «Ce qui est en jeu, ce n’est pas ma propre justice, mais la manifestation, l’actualisation du Règne de Dieu.»
Perfection et miséricorde
D’ailleurs, remarque encore Bernard Rordorf, l’injonction de Jésus dans l’évangile de Matthieu, «vous serez parfaits, comme votre Père céleste est parfait» (Matthieu 5:48), devient chez Luc: «Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux» (Luc 6:36). «Cette perfection est donc pour l’autre, jamais pour moi. Elle se traduit par la miséricorde, elle se vit dans le don. Elle ouvre une éthique de la responsabilité…», commente le théologien. Dans cette optique, une faute, un péché, ne dois pas être lu dans une perspective individuelle, mais toujours dans sa dimension de mal fait à autrui. «La fascination pour les héros, ou les saints, qu’on considérerait comme des idéaux de perfection à imiter pour soi-même, n’est pas chrétienne», conclut le théologien. Car la perfection chrétienne ne saurait se traduire que dans l’amour parfait!
Et c’est en cela que nous pouvons devenir pleinement humain·e·s, reprend Christophe Chalamet. Car, «si en tant qu’humains, nous sommes soumis au péché, le péché en réalité défigure notre humanité». Et par la perfection de l’amour qu’il a vécue, et auquel il nous ouvre, Jésus restaure la vraie image de l’humain.