Quand l’engagement a un coût
«Je n’arrive pas à ne pas me donner au maximum. Si j’ai du temps, je dois l’offrir.» Valentin* a 23 ans et les idées claires. Le jeune employé d’assurance consacre plusieurs heures par semaine aux migrants d’un centre de requérants d’asile. Une activité qu’il a découverte lors du service civil et qu’il aime. «J’y vais moins qu’avant, parce que j’ai commencé à travailler et que les trajets me prennent plus de temps, explique-t-il, navré. Mais je ne me vois pas renoncer à ce bénévolat.» Valentin met un point d’honneur à remplir ses journées, prenant exemple sur des parents «très engagés dans différents milieux». Camps, cours d’appui, organisation de diverses manifestations, il enchaîne les responsabilités depuis l’adolescence. Mais l’agenda de ministre a ses revers. «Je n’ai jamais été capable de faire durer une relation amoureuse, avoue-t-il. Je manquais de temps. J’ai aussi perdu deux amis proches qui trouvaient que je les négligeais.»
Sur l’autel du climat
Julia*, pour sa part, s’est donnée corps et âme au sein de la Grève du climat quand elle était gymnasienne. «Je souffrais et souffre encore d’éco-anxiété, lâche-t-elle. J’avais suivi de près les travaux du GIEC et, à l’époque, je voulais faire mon possible.» Une militance difficile pour l’adolescente, qui a l’impression de se heurter à un mur d’incompréhension de son entourage. «Mes parents n’étaient pas contre l’écologie, mais ils n’ont pas compris que j’y consacre autant de temps. Cela a créé de grosses tensions. Et tous mes amis me disaient que je ne parlais que de ça.»
Aujourd’hui âgée de 21 ans et étudiante en sciences sociales, Julia a choisi de lever le pied sur ses engagements. A contre-cœur. «Je travaille à côté de mes études et je crois que j’aurais explosé si j’avais continué à ce rythme.»
Regrettent-ils leurs sacrifices? «Aider ceux qui en ont besoin me rend heureux, affirme Valentin. Oui, ça fait mal de perdre des gens que l’on aime, mais on doit aussi s’engager pour le monde auquel on croit. Cela dit, peut-être qu’un jour j’aurai envie d’avoir une famille…» Julia, elle, s’interroge sur la manière dont son militantisme a pu affecter ses relations. «L’écologie me tient à cœur, mais si je veux partager cela avec les gens qui comptent pour moi, il faut que je trouve une autre manière de faire. Se donner pour une cause, j’y crois, mais si ça fait fuir tout le monde, c’est contre-productif.»
Monde du travail peu adapté
Ils déplorent tous deux que le monde du travail soit peu adapté à leurs engagements. «C’est comme si l’on ne pouvait donner aux autres que quand on n’est pas encore dans la ‹vraie vie›, analyse Valentin. Dans mon cas, j’ai même peur de parler de mon bénévolat là où je bosse.» Julia compte bien s’organiser comme elle l’entend à l’avenir: «Je n’aurai pas de doubles journées toute ma vie. Je reprendrai mon engagement pour le climat une fois que j’aurai mon master, en trouvant un temps partiel, et tant pis si je gagne peu. Ça en vaut la peine.»
Favoriser la citoyenneté des jeunes
Compatibilité difficile du travail des jeunes avec l’investissement personnel pour la collectivité, influence de l’entourage sur le degré d’engagement: la Confédération a identifié ces difficultés en 2022 dans un rapport de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ) sur la participation des jeunes à la vie politique au sens large.
La CFEJ propose quelques recommandations. Puisque la famille est encore un moteur d’engagement, il faut renforcer l’éducation à la citoyenneté à l’école, pour que tous les élèves comprennent l’importance de prendre part à la vie politique. Les communes et les clubs sportifs doivent aussi lancer des initiatives concrètes pour inclure les voix des jeunes. Enfin, les offres (institutionnelles ou non) doivent tenir compte de leur disponibilité: il faut plus d’offres facilement accessibles sur internet et limitées dans le temps.