L’Ascension et la Pentecôte des ponts entre présence et absence
«L’Ascension et Pentecôte ne sont pas des fêtes majeures dans ma pratique paroissiale. D’autant que comme ce sont des week-ends prolongés, nous en profitons pour y organiser un camp de catéchisme et le culte de fin de catéchisme», sourit Diane Friedli, pasteure à Auvernier et Colombier (NE). «Oui, ce sont des moments forts pour et avec les jeunes, mais franchement sans lien direct avec l’Ascension et Pentecôte.» Et elle n’est certainement pas la seule pour qui la commémoration de l’élévation de Jésus vers le ciel, puis celle du don du Saint-Esprit sont avant tout des congés. «Un pasteur me disait: ‹J’ai du monde au culte quand il pleut et que ce n’est pas un week-end prolongé», relate Olivier Bauer, professeur de théologie pratique aux universités de Lausanne et Genève. Des congés contre-productifs, puisqu’ils mettent la pratique ecclésiale en concurrence avec les escapades!
Plaisanterie mise à part, Olivier Bauer rappelle que «ces fêtes trouvent leurs origines dans le seul cycle de Luc (Évangile de Luc et Actes des apôtres) et pourtant elles ont acquis une importance primordiale dans le christianisme. «Par exemple, au début du XVIIIe siècle, Jean-Frédéric Ostervald réintroduit à Neuchâtel la fête de l’Ascension que la Réforme avait supprimée. Mais pourquoi cette fête, plutôt que d’autres, liées elles aussi à la vie de Jésus? Je pense en particulier à sa circoncision, à la présentation au temple ou à son baptême par Jean-Baptiste.»
L’absence de Dieu
Si ces célébrations gardent une place primordiale, c’est peut-être qu’elles ont une signification spirituelle forte. «Pour moi, les fêtes répondent aux questions des croyants. Les rites rendent concrètes des notions parfois un peu conceptuelles», explique le pasteur Armin Kressmann, coauteur de «Au fil de la vie. Pierrot découvre les fêtes chrétiennes» «L’année, tout comme la vie, est ainsi rythmée. Tout au long, je reçois des éléments qui me guident dans mon rapport à Dieu et aux autres», complète-t-il. «Pour moi l’Ascension c’est l’exact pendant de Noël. Autant Noël marque la proximité de Dieu — comme théologien je dirais l’Incarnation — autant l’Ascension nous appelle à vivre dans l’absence. Les apôtres doivent entrer dans le projet d’un Dieu qui leur dit lâchez-moi les baskets!» Le pasteur complète «Dans le récit (Actes 1:11), on demande aux disciples ‹pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel?› C’est un changement d’horizon!» «Un appel à ne pas rester le nez en l’air et à agir sur terre», complète le pasteur Blaise Menu, modérateur de la Compagnie des pasteurs et des diacres de Genève. Pour lui l’Ascension «c’est l’expérience parfois peu compréhensible de l’absence de Dieu: Jésus est exalté, mais il est aussi soustrait, cela marque vraiment l’absence irrémédiable.» Matteo Silvestrini, pasteur au Villeret (BE) abonde. «Dans le livre des Actes, juste avant le récit de l’Ascension, les apôtres demandent à Jésus ‹Est-ce maintenant que tu vas rétablir le Royaume?› Et c’est à ce moment-là qu’il part. Les apôtres doivent se débrouiller seuls, mais avec la promesse du don de cette force, de cette dynamique», explique le ministre. Et ce n’est pas la seule tension que le texte amène: «Juste après, l’ascension, les apôtres se rendent à Jérusalem et ils vont prier. Si le texte appelle à l’action, il valorise aussi la méditation, la vie spirituelle», analyse-t-il.
«L’observation des enfants nous apprend beaucoup sur comment appréhender ce mystère», explique Florence Auvergne-Abric. Avec les Théopopettes et le Godly-Play, cette pédagogue propose aux enfants de construire leur propre pensée, leur propre spiritualité. «Un des apprentissages les plus éprouvants du tout-petit est de comprendre que le parent qu’il ne voit plus soudain réapparaîtra; au fil du temps, s’affermit en lui la confiance que l’être aimé ne disparaît jamais complètement. Adulte, je ne remets plus en question le fait de revoir ceux qui vivent loin de moi. Mais quand c’est la mort qui crée l’absence, seule cette expérience de la confiance peut créer la certitude d’un ‹après›, d’un mystère non menaçant.»
Blaise Menu rappelle également que dans la Bible ou dans la littérature antique, le Christ n’est pas le seul à être enlevé vers les cieux, c’est-à-dire reconnu et justifié par Dieu. Cela arrive à Hénoch, Esdras, Alexandre le Grand – ou encore Élie. «Pour celui-ci, je perçois un effet d’écho entre Jésus et cette figure prophétique qui avait vécu une expérience spirituelle décisive avec Dieu, une intimité remarquable à l’Horeb.» Le site de questions-réponses QuestionDieu.com résume: «l’Ascension signale encore une fois les liens qui existent entre Jésus et Dieu et ouvre une nouvelle ère, une nouvelle manière pour le Christ d’être présent dans le monde.»
Église ouverte sur la diversité
«Pentecôte, très concrètement, est la fête de la communauté», pour Armin Kressman. «Beaucoup plus qu’à Pâques où nous sommes renvoyés individuellement devant la croix et le tombeau vide. Pentecôte, c’est le fondement collectif de l’Église!» Pour Blaise Menu, Pentecôte est la marque de fabrication du christianisme! Très vite, les chrétiens ont osé exprimer, transmettre et traduire leur foi vers la langue et la culture de l’autre!» À comparer aux autres religions du livre: «L’islam a construit sa révélation sur l’arabe et l’a sacralisé. Le judaïsme, lui, a osé créer dans l’Antiquité déjà une tradition alternative: à côté de la Bible en hébreu, il y a eu une version grecque, même augmentée. Il y avait Jérusalem, mais il y a eu aussi Alexandrie. Le judaïsme n’était pas aussi monolithique qu’on le croit souvent. En regard de cela, il y a quelque chose de passionnant dans le christianisme qui, dès les commencements, prend le risque de la pluralité. Au fil des siècles, malgré les conflits, le processus ne fera que prendre de l’ampleur. Aujourd’hui, la Bible est le livre le plus traduit au monde: tout ou partie dans des centaines de langues.»
Le milieu humain
D’origine coréenne, Hyonou Paik, pasteur à la paroisse de La Côte (Peseux et Corcelles-Cormondrèche – NE), raconte: «Je suis chrétien depuis mon adolescence, et avant cela je n’avais jamais entendu parler ni de l’Ascension ni de la Pentecôte, vu que ce ne sont pas des fêtes de la société civile en Corée. Mais même à l’Église, je n’ai pas souvenir que nous les ayons fêtés de façon particulière, si ce n’est par la lecture des récits bibliques concernés.» Aujourd’hui, il se refuse à une compréhension trop facile de ces fêtes. «Déjà, le mot ‹ciel›, qu’est-ce que le ciel est-ce la couche d’air qui entoure la terre? Ou est-ce un domaine qui nous dépasse, la demeure de Dieu d’où il gouverne sa création?» Finalement, c’est une image empruntée à la tradition orientale qui alimente le mieux sa réflexion autour de l’Ascension et de Pentecôte. «En coréen, le philtrum, la fossette située entre le nez et la bouche est appelée ‹le milieu humain›, car elle fait le lien entre la bouche qui se nourrit de la terre et le nez qui respire le ciel. Ainsi chaque fois que je respire, je peux penser à ce Dieu à la fois absent et présent.»
Des origines peu connues
L’apparition de ces fêtes dans la pratique chrétienne est peu documentée. On lit souvent que l’ascension n’est attestée que dès la fin du IVe siècle, mais pour Frédéric Amsler, professeur d’histoire du christianisme ancien à la Faculté de théologie et de sciences des religions à l’Université de Lausanne, cette célébration «est certainement plus ancienne, pour la simple raison qu’une basilique a été construite sous Constantin au mont des Oliviers pour célébrer l’ascension au début du IVe siècle.» Citant Maurice Halbwachs, Frédéric Amsler rappelle que de cette façon, les principaux lieux de la christologie nicéenne: lieux de naissance à Bethléem, de crucifixion à Golgotha, et de départ au mont des Oliviers, accueille tous un monument. «Pour ce qui est de la Pentecôte, l’usage et la signification ont varié. Tertullien connaît la Pentecôte comme une période de sept semaines de joie qui clôt le cycle pascal. Au début du IVe siècle se fixe l’usage d’un jour de fête qui clôt les 50 jours depuis Pâques, qui a plutôt le sens de l’Ascension. À cette époque encore l’Ascension et le 50e jour après Pâques ne forment qu’une seule fête solennelle de la fin du cycle pascal», précise l’historien. Ce n’est que dans le dernier tiers du IVe siècle, à Constantinople, que s’ajoute le souvenir du don de l’Esprit, ce qui va progressivement donner lieu à une dissociation de la Pentecôte comme don de l’Esprit sept semaines après Pâques et de l’Ascension comme ultime manifestation du ressuscité 40 jours après l’événement pascal.»
La Réforme réduit la fête
«Dès le XVIe siècle dans le calendrier réformé, on ne conserve que le dimanche de l’Ascension et on laisse tomber le jeudi. Chez Calvin cette commémoration peut être marquée par une prédication sur ce thème, mais pas plus!», rappelle Christian Grosse professeur d’histoire et anthropologie des christianismes modernes aux universités de Lausanne et Genève. «Sous la Réforme, l’idée des fêtes particulières disparaît. Il ne reste que le dimanche et quatre fois par année une communion qui donne lieu à environ deux semaines de préparation, chaque fois. Le reste de l’année, on commente la Bible verset par verset.» Cette méfiance vis-à-vis des fêtes perdurera près de deux siècles. «À partir du XVIIIe siècle, on assiste à un timide retour d’un calendrier liturgique dans les Églises de la réforme.»