Les métiers de l’aumônerie en plein bouleversement
Cinquante-quatre personnes interviewées (dont 25 aumônier·es) sur deux cantons avec une gestion du religieux très différente (Vaud et Genève), 19 événements et activités analysés. Le tout sur quatre types d’institutions (en prison, à l’école, à l’hôpital, dans des centres fédéraux d’asile ou de rétention). C’est une recherche de terrain très riche qu’ont menée Mallory Schneuwly Purdie et Aude Zurbuchen, chercheuses au Centre suisse islam et société (CSIS), entre septembre 2020 et août 2021. L’enjeu : comprendre le rôle d’interface que les aumôneries jouent entre les institutions publiques et les communautés religieuses aujourd’hui. Un travail d’une ampleur inédite qui a mis au jour les transformations du métier d’aumônier, son rôle précieux dans différents contextes (notamment l’asile), et des enjeux cruciaux de reconnaissance de financement et de formation.
Quelles évolutions principales avez-vous constatées dans l’aumônerie?
MALLORY SCHNEUWLY PURDIE
Entre l’image d’un pasteur en habit sacerdotal, bras droit de la direction, apportant la bonne parole, et la fonction telle qu’elle est aujourd’hui exercée, l’écart est énorme. Le métier a dû évoluer parce qu’il opère dans des institutions séculières et pluralisées pour ce qui est des équipes et des bénéficiaires de services. Après les chrétiens et les sans-confessions, ce sont les musulmans qui sont le plus représentés, posant des défis et des questions aux aumôniers. Enfin, le métier est très divers: l’accompagnement de quelqu’un qui a commis un meurtre et doit gérer cette culpabilité toute sa vie diffère de l’écoute d’une femme qui a perdu un enfant ou d’une personne violée sur son chemin d’exil. Les aumôniers font face à des ruptures, des traumas et des vulnérabilités multiples et spécifiques.
L’aumônerie est-elle devenue de l’assistance sociale, psychologique?
Non, ce n’est pas le même métier. Le changement fondamental, c’est que les aumôniers placent désormais la personne au centre, là où par le passé ils partaient peut-être davantage d’un texte. Ils sont aujourd’hui moins les représentants de l’Église qu’une ressource pour des bénéficiaires qui ont des questionnements existentiels. La spiritualité devient un outil pour aider la personne à traverser des traumas ou à se repositionner dans sa vie.
Ces changements demandent donc une autre formation?
Oui. Les aumôniers chrétiens formés à la théologie et à l’écoute se rendent bien compte du besoin de personnes compétentes dans d’autres confessions. Ils jouent un rôle capital dans le recrutement, mais aussi dans l’orientation ou l’intermédiation pour aider les intervenants d’autres religions à trouver leur place. Du côté musulman, les intervenants ont souvent une grande expertise de terrain, mais pas de formation universitaire. Le CSIS a développé un Certificate of Advanced Studies (cursus en cours d’emplois) sur l’aumônerie musulmane en 2020, sa version francophone débute en septembre 2022. Un projet pilote d’aumônerie musulmane mené avec le Secrétariat d’État aux migrations dans les centres fédéraux d’asile a aussi fait ses preuves, et va être reconduit. Reste que, si le métier est de plus en plus reconnu par les institutions, il ne fait pas encore rêver les jeunes musulmans de Suisse. La question de la rémunération, et donc du financement, reste ouverte.
La recherche
L’Aumônerie dans les institutions publiques. Positionnements institutionnels, collaborations interreligieuses et enjeux de la profession, Mallory Schneuwly Purdie et Aude Zurbuchen, Université de Fribourg, 2021.
Texte intégral disponible sur : www.re.fo/aumonerie