L'expérience de la mort imminente, compatible avec le récit de la résurrection?
«Je n’ai plus du tout peur de la mort, ni de la mienne ni de celle des autres: je suis apaisé. Je ressens également un besoin irrépressible de me mettre au service des gens et le désir de faire quelque chose de mieux de cette deuxième vie qui m’est offerte, de cette partie gratuite», explique Vincent Lafargue. Il y a une vingtaine d’années, suite à un accident de la route, ce comédien genevois fait un arrêt cardiaque. Il vit alors une expérience de mort imminente (EMI), qui bouleverse sa vie. Elle transforme une spiritualité alors culturelle en une quête de sens et une foi à vivre tournée vers l’autre. Aujourd’hui, il a trouvé sa vocation dans la prêtrise. Il exerce son ministère en tant qu'abbé dans les paroisses catholiques d'Aigle et de Bex, rattachées au diocèse de Sion, et en tant qu’aumônier à l’Hôpital Riviera Chablais.
Le vécu de Vincent Lafargue est singulier et intime. Celles et ceux qu’on nomme les «expérienceurs» après avoir vécu une EMI sont pourtant entre «4 et 9% de la population mondiale», selon les études, commente Jonathan Matile psychologue FSP à Pully dans le canton de Vaud. Et cet état de conscience modifié non-ordinaire reste encore aujourd’hui une énigme scientifique. Des processus cérébraux sont identifiés, mais les explications neurologiques ne doivent pas minimiser «l’intensité du vécu et de la réalité subjective de la personne qui ne peut être niée», poursuit le psychologue.
Bouleversante, traumatisante dans près de 10% des cas, l’EMI est majoritairement positive. Elle ouvre les expérienceurs à une vie nouvelle, tournée vers l’essentiel, ouverte à la spiritualité. À quelques jours des fêtes de Pâques, qui célèbrent la résurrection du Christ revenu à la vie trois jours après sa mort sur la croix, en quoi les récits de mort imminente offrent-ils une relecture du récit biblique?
Le besoin de spiritualité
«L’EMI n’est pas une preuve de la résurrection», lâche Michel Cornuz, théologien et pasteur de l’Église française réformée de Bâle. Pour lui, elle ne dit rien sur la réalité d’un au-delà, elle concerne plutôt notre vie d’ici-bas. «Notre foi en la résurrection n’est pas déduite de telles expériences, elle est fondée sur l’expérience actuelle de la vie éternelle ou vie en plénitude dans la communion à Jésus-Christ», Et d’insister: «Si de telles expériences peuvent rassurer une personne qui les vit, alors elles doivent être accueillies et accompagnées pastoralement, sans les transformer en assurance dogmatique.» Et ce n’est pas Vincent Lafargue qui le contredira. «Depuis mon EMI, la résurrection est moins abstraite. Je ne peux plus dire qu’il n’y a pas de vie après la mort. Pour moi, un petit coin de voile s’est levé sur l’après, ça a été une révélation. Elle a activé en moi le besoin de faire quelque chose dans ma vie. Mais, bien malin celui qui pourra dire ce qu’il y a après la mort!»
La mort reste donc un état dont on ne revient pas. Pour l’EMI, c’est une autre histoire. Non seulement, les personnes n’en reviennent pas indemnes, mais elles partagent un certain nombre d’effets communs, parmi lesquels une plus grande compassion, un amour à donner, un renversement du système des valeurs, un détachement matériel et un retour à l’essentiel. «La recherche de sens, l’ouverture à la quête d’une spiritualité, quelle qu’elle soit, fondée sur l’expérience et la relation à l’autre, est universelle», note Jonathan Matile.
Par ailleurs, les contenus mêmes de l’expérience se recoupent, et cela alors même qu’il n’y a pas de profil type de l’expérienceur, l’EMI semble toucher tous les âges, sexes et classes sociales. «On dénombre sept étapes: un sentiment de paix et de bien-être, une sortie de corps, une sensation de flottement, la conscience d’une lumière dorée, la rencontre avec des êtres spirituels, la succession rapide d’images du passé et du ressenti des autres d’alors, l’expérience d’un autre monde», liste Jonathan Matile, qui a réalisé son travail de Master en psychologie sur le sujet, en collaboration avec la Faculté de théologie de l’Université de Genève. Aujourd’hui, dans son cabinet, il organise des groupes de parole pour les personnes qui ont vécu des états de conscience modifiés et cherche également à sensibiliser le personnel soignant sur notamment sur des expériences encore taboues.
La quête d’authenticité
«Les images évoquées par les expérienceurs me rappellent l’épisode biblique de la transfiguration. Jésus se rend sur la montagne accompagné de ses disciples. Il leur révèle un instant sa nature divine et annonce l’événement de la résurrection à venir. Il apparaît le visage tel un soleil éblouissant, ses habits sont de lumière, il est entouré de prophètes passés. Les disciples sont bouleversés. Mais plutôt que de rester sur la montagne et d’y dresser des tentes, Jésus en redescend avec les disciples, portés par cette vision et cette révélation, ouvrant comme une vie nouvelle pour affronter les dures réalités du présent», détaille Michel Cornuz.
Il y a également plusieurs parallèles entre les récits d’EMI et ceux des grands mystiques chrétiens qui évoquent l’extase et la sortie de soi, à la différence que chez ces derniers, il est question d’une union avec le Christ. «Les mystiques attachent une importance primordiale au détachement de l’expérience en tant que telle. Elle constitue une aide sur le chemin de la spiritualité. Mais il faut s’en dépouiller, et se concentrer sur ce qui peut en être fait», commente le théologien. Jonathan Matile abonde: une EMI, même si elle est affectivement positive reste une expérience qui peut être traumatisante. À ce titre, il faut pouvoir accompagner les personnes, afin qu’elles puissent en parler et l’intégrer dans leur vie présente.
C’est ce qui s’est passé pour Vincent Lafargue. Il a trouvé dans la prêtrise une réponse à ce besoin de service, d’amour et de recherche d’authenticité spirituelle, même si «cela reste le travail de toute une vie». Et d’ajouter: «Aujourd’hui, je comprends que la vie est courte et que la résurrection se vit aujourd’hui, dans le présent, car Dieu est au présent. J’ai rencontré Dieu durant cette EMI et cela m’a mené à comprendre que je le croisais des dizaines de fois par jour, dans le visage des autres que je rencontre.»