Foi: le difficile passage de témoin
«J’ai été scout et jeune paroissien. Le cursus classique à mon époque.» A 82 ans, l’ancien médecin cantonal vaudois Jean Martin est toujours un chrétien engagé, actif dans sa paroisse. Pourtant, aujourd’hui, la plupart de ses six petits-enfants n’ont pas de pratique religieuse. Et ce n’est pas faute d’avoir éduqué ses enfants dans le protestantisme. Issu d’une famille très croyante et pratiquante, Jean Martin a épousé une Parisienne protestante. Ensemble, ils ont eu trois garçons qui ont tous suivi l’école du dimanche, le catéchisme, puis demandé la confirmation. «Par la suite, nous les avons observés et entourés, mais laissés libres en matière de pratiques religieuses», explique Jean Martin.
Le fils aîné vit aux Etats-Unis depuis de longues années. «A un moment donné, il nous a demandé de lui offrir un livre illustré de la Bible. Il racontait ces histoires à ses trois enfants en les couchant. Notre belle-fille américaine, issue d’une forte tradition protestante, n’a toutefois guère insisté auprès des enfants en ce sens.»
La foi a davantage perduré dans la famille du deuxième fils, qui s’est établi en Suisse alémanique. Avec sa compagne, elle-même issue d’une famille croyante et pratiquante, ils sont actifs dans leur paroisse saint-galloise, avec leur fille de huit ans, montrant un intérêt pour les activités dans cette Eglise très communautaire.
Le troisième fils vit en Espagne. «Ses deux enfants n’ont pas de liens avec la religion et ne reçoivent pas de message de foi, à notre connaissance», explique Jean Martin. Par contre, Noël a toujours une certaine place au sein de la famille, de même que Pâques et les festivités de la Semaine sainte, une des fêtes les plus importantes de l’année en Espagne.
Sécularisation
Comme chez les Martin, dans nombre de familles suisses, chaque génération est moins religieuse que la précédente. Une récente étude sur les tendances religieuses a d’ailleurs montré que la sécularisation suivait une courbe ascendante. Ses auteurs révèlent que, contrairement à une idée reçue, la foi ne devient pas plus importante avec l’âge. Le problème résiderait dans l’absence de transmission de la foi entre parents et enfants.
Jean Martin tient à laisser ses enfants libres de vivre leur vie. «Ils savent que je continue à être un fidèle régulier au culte de ma paroisse. D’ailleurs, l’un d’eux m’y accompagne parfois.» Mais le retraité ne craint pas pour le salut de sa progéniture: «Je crois à un Dieu faible et aimant qui nous laisse toute liberté, et non à un Dieu autoritaire et punitif. J’ai l’espoir que Dieu nous sauvera toutes et tous.»
La question de la transmission interroge toutefois ce protestant qui s’est investi pour son Eglise. Les travers de l’Eglise catholique, mais aussi la rigidité ancienne de l’institution protestante, expliquent en partie pour lui la distance qui s’est instaurée avec la religion. Jean Martin se réjouit néanmoins d’avoir transmis un réel cadre éthique et des valeurs protestantes à ses enfants. Ce qui compte beaucoup à ses yeux, c’est de conserver de bons rapports avec eux.
Méditation
Son épouse, Laurence Martin, rencontre les mêmes interrogations. Elevée dans «J’ai l’espoir que Dieu nous sauvera toutes et tous» une famille protestante française, elle a elle-même été très engagée dans la foi étant enfant, avec même une phase assez mystique. «Je tentais de parler directement à Jésus ou à Dieu. J’ai rejeté tout cela en arrivant en classe de philo, estimant avoir été trompée sur la marchandise.»
Au fil de ses voyages avec son époux, Laurence Martin s’est intéressée à d’autres cultures, d’autres religions, et se consacre à présent à la méditation. Elle voit désormais le christianisme comme une religion parmi d’autres, qui arrive peut-être en fin de vie. «Je n’ai ni l’envie ni la force de lutter pour que cela dure.» Pourtant, elle attache une grande valeur à la vie spirituelle et la voit plutôt comme personnelle: «Je pense que l’on a besoin de beaucoup de liberté là autour.» Après avoir un temps donné l’enseignement biblique aux tout-petits (éveil de la foi), elle éprouve la même envie de laisser ses enfants et petits-enfants libres de ressentir le besoin de trouver leur propre voie. Un de ses fils a d’ailleurs suivi ses pas et pratique également la méditation.
Engagée dans l'association «Grands-parents pour le climat», Laurence Martin place aussi son énergie dans cette cause plus terre-à-terre et s’interroge: «Faut-il consacrer plus de temps à faire quelque chose pour la planète ou à aider des gens en recherche à découvrir leur spiritualité, leur intériorité, leur paix intérieure, ce qui implique des changements de caractère et de mode de vie? J’essaie de trouver un équilibre entre les deux, mais je n’ai pas choisi.»
Liberté d’esprit
Geneviève Frei n’a pas transmis sa foi, qui relève selon elle de l’indicible. Elle a grandi à Lausanne dans une famille de libres penseurs fréquentant l’Eglise libre vaudoise. Après le catéchisme et une fréquentation active du groupe de jeunesse, la fusion avec l’Eglise nationale a remis en question ses valeurs religieuses. Elle a toutefois conservé une certaine nostalgie du sacré et un besoin de spiritualité.
«Nous n’avons pas baptisé nos deux filles, dans l’idée de les laisser libres. Elles sont toutes deux allées à l’école du dimanche, puis ont voulu suivre le catéchisme, avant de renoncer. Ce fut leur seul contact avec la religion protestante.» Avec l’expérience de la vie, Geneviève Frei imagine qu’elle agirait aujourd’hui différemment.
Une de ses filles lui a confié regretter de ne pas avoir de culture religieuse, sans nier pour autant l’existence d’une vie spirituelle. Sa sœur a rejoint à l’âge de 18 ans un groupe de méditation d’origine indienne. «Je comprends cette recherche. Mais pourquoi cette ‹quête d’ailleurs›, alors qu’on ne connaît pas ses propres racines? C’est certainement parce que l’on ne se reconnaît pas dans la tradition proposée», note Geneviève Frei. Elle a d’ailleurs vécu la même démarche en se tournant vers l’enseignement de Karlfried Graf Dürckheim. Ce philosophe allemand imprégné de Maître Eckhart et de l’Evangile de Jean a découvert le zen au Japon et a tiré de son expérience une voie spirituelle qui a permis à Geneviève Frei de répondre à sa nostalgie du sacré et en même temps de revenir à la spiritualité chrétienne.
Humilité
Après avoir passé de nombreuses années au Centre Dürkheim dans la Drôme, elle accompagne aujourd’hui des personnes engagées ou non dans la tradition chrétienne. «Finalement, qu’est-ce que la transmission?» se demande Geneviève Frei. «Transmettre, c’est témoigner en faisant soi-même un chemin de maturation. Dans la transmission, il y a quelque chose qui ne nous appartient pas.» Réfractaire à l’idée de donner des leçons aux autres, elle pense que l’être humain a toutefois besoin de balises qui permettent à la spiritualité de s’épanouir et qui l’aident à retrouver ses racines, chrétiennes ou non.
Les trois petits-enfants de Geneviève Frei n’ont pas non plus reçu d’éducation religieuse. «Je ne me suis pas du tout impliquée en la matière, me contentant de les observer et d’accueillir leurs questionnements.» Pour elle, il s’agit de rester humble: «Nos petits-enfants se souviendront peut-être un jour des petites graines que nous avons plantées.»
Témoignez!
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