La diversité et les riches apports des chrétiens d’Orient exposés à Paris
"Chrétiens d’Orient, deux mille ans d’histoire" est à voir à l’Institut du monde arabe, 1 rue des Fossés-Saint-Bernard à Paris jusqu’au 14 janvier. Puis l’exposition déménage à Tourcoing, où elle se tiendra du 22 février au 12 juin.
"Chrétiens d’Orient, 2000 ans d’histoire" est le titre de l’exposition que l’Institut du monde arabe (IMA) annonce à son entrée sur une immense affiche. A l’intérieur, le visiteur y découvre 300 œuvres réunies pour la première fois, attestant des débuts puis de l’évolution du christianisme là où il est né. A l’heure où l’émigration, l’exil et un avenir incertain sont le lot des chrétiens d’Orient, le but de l’exposition est de témoigner de l’ancrage de ces populations bien avant l’islam dans cette partie du monde. «Il s’agit de montrer en quoi elles ont contribué à la construction du monde arabe tel qu’on le connaît aujourd’hui. Et de dire que celui-ci serait bien différent si justement il n’y avait pas eu cette richesse spirituelle, civilisationnelle et artistique que les chrétiens ont apportée», indique Elodie Bouffard, commissaire d’exposition.
Lundi, jour de fermeture du musée, la visite s’effectue de façon tout à fait privilégiée. «On travaille sur cette exposition depuis plus de 3 ans, explique Elodie Bouffard. Depuis 2012, l’IMA a revu ses orientations en programmations en ouvrant tout un pan sur les spiritualités. Mais nous n’avions pas encore développé une grande exposition de civilisation.»
Premières communautés
D’emblée, une grande carte géographique et six objets datant d’avant le IXe siècle témoignent de la richesse des expressions de ce christianisme d’Orient dès ses débuts. Leurs factures sont très diverses: peinture sur soie, mosaïque de pavement, pièce en bronze... L’exposition est ensuite divisée en quatre grandes sections chronologiques. La scénographie de la première partie est bas de plafond, «pour donner la sensation au visiteur de partir à la découverte de ces premières communautés.» Jusqu’au IIIe siècle, les chrétiens, déjà très nombreux, souffrent de persécutions récurrentes. Les fidèles s’organisent dans des maisons particulières comme à Doura-Europos, en Syrie, où ils ont peint des fresques représentant des miracles de Jésus. «C’est en 232, et ce sont les premiers dessins chrétiens connus. Ils témoignent de la foi de ces premières communautés», déclare Elodie Bouffard, qui en parle comme du grand chef-d’œuvre de l’exposition. Ces images dessinées sur de la pierre au moyen de pigments de couleurs ocres illustrent le Christ guérissant un paralytique et Pierre marchant sur les eaux. «Il y a un an et demi, la ville de Doura-Europos a été pillée par Daech, mais l’ensemble de ces fresques étaient déjà conservées à l’université américaine de Yale depuis des années», explique la commissaire.
Plus loin, elle s’arrête devant une gigantesque mosaïque de pavement de trois mètres de haut. «Elle vient du Mont Nebo, en Jordanie; elle est prêtée par la custodie franciscaine de Jérusalem.» Une inscription en arabe sur la gauche indique le mot paix: Salam. «Cela montre que des tribus arabes, bédouines, ont été parmi les premières christianisées.»
Bascule démographique au 13è siècle
Dans la deuxième partie de l’exposition, le visiteur se retrouve après la conquête arabe. Dès le VIIe siècle, la vie artistique des Eglises orientales est florissante, et donne naissance à des fresques, des icônes, des manuscrits enluminés. «On montre que la population reste majoritairement chrétienne pendant des siècles», dit Elodie Bouffard. Les historiens situent en effet la bascule démographique pour l’ensemble du Proche et du Moyen Orient à partir du XIIIe siècle, où il y a une vraie islamisation de la société. «Ce qui a jusque-là fait la force des églises d’Orient, c’est qu’elles sont restées très ouvertes, notamment à la langue vernaculaire. Ce sont les chrétiens qui participent au grand mouvement de traduction en arabe, qui débute au IXe siècle à Bagdad, de textes fondamentaux venant de Grèce, d’Inde, du monde syriaque.» L’arabe, langue politique, va devenir une langue culturelle forte et va être utilisée également dans l’Eglise. La traduction de la Bible intervient aussi dans cette période-là, et des écrits théologiques sont traduits également en arabe dès le Xe siècle.
Interviennent ensuite les croisades, puis la conquête par les Ottomans d’une grande partie du pourtour méditerranéen, entre le XIIIe et le XVIe siècle. Le déclin de l’empire ottoman à partir du milieu du XIXe siècle s’accompagne d’évènements tragiques pour les communautés chrétiennes, premières victimes de politiques ethniques. A plusieurs reprises, pourtant, des œuvres parlent du rôle de passeurs entre Orient et Occident exercés par les chrétiens. Mais en 1860, ceux-ci sont massacrés en Syrie. En 1915, le génocide arménien en Turquie aboutit au déplacement d’une population immense vers le Liban, la Syrie et l’Egypte. Les minorités assyriennes et syriaques subissent un sort similaire.
A la fin de l’exposition, des artistes contemporains s’expriment sur l’idée de la mémoire, de l’exil, du retour, de l’impossible retour parfois, et de la transmission. Elle se termine avec des portraits de personnes qui habitent actuellement ces régions. «Elles regardent toutes vers l’avenir», conclut Elodie Bouffard.
« Cette exposition dit la beauté du christianisme »
Pascal Maguesyan, chargé de mission à l’association Mesopotamia pour laquelle il dresse en Irak un inventaire de la richesse du patrimoine chrétien, a suivi la visite menée par Elodie Bouffard. Pour lui, cette exposition dit la beauté et l’importance de la représentation par l’image de la foi: «On voit l’éclat de la foi, du christianisme», souligne-t-il. Si l’exposition compte très peu d’œuvres en provenance d’Irak, c’est parce que les destructions successives ont été nombreuses. Par Daech, mais aussi par Al Qaïda dans la décennie précédente, relève-t-il, et puis précédemment de la part de Saddam Hussein «qui a détruit dans les années 80 plus de 3000 villages kurdes dans les montagnes, soit le terroir de l’Eglise assyrienne notamment.»
Devant l’illustration présentant le massacre des chrétiens à Damas en 1860, Pascal Maguesyan souligne la référence à l’intervention de l’émir Abdel Kader. «Cet homme s’est élevé contre ces massacres et a accordé sa protection à plusieurs chrétiens. Cela montre que l’islam n’est pas monobloc. Comme aussi le christianisme, d’ailleurs. Il y a de la bonté, de la solidarité, partout. Et je prétends qu’à travers cet exemple il y a une voie possible pour une réconciliation souhaitable et nécessaire entre chrétiens et musulmans où qu’ils se trouvent.»
Et devant un grand rideau liturgique de 6 mètres sur 3,5 mètres, datant de 1798 et offert au patriarche de Jérusalem, Pascal Maguesyan s’exclame: «C’est le plus beau rideau liturgique qu’il m’ait été donné de voir!» Cette œuvre représente Saint Théodore en train de terrasser le dragon. «Et ce qui est d’autant plus beau, c’est qu’il n’a pas été réalisé sur le territoire arménien, ni même à Jérusalem où il a été retrouvé par les commissaires de cette exposition, mais en Inde! Cela nous dit ce qu’a été l’évangélisation. Et cela nous raconte aussi la rencontre des cultures, comme l’acculturation du christianisme!»
Engagé aux côtés des chrétiens d’Orient
La dernière pièce exposée actuellement à l’IMA est le livre d’Orient que Vincent Gelot avait dans ses bagages quand il a sillonné en Renault 4L le Moyen et le Proche Orient de 2012 à 2014. Ses pages sont couvertes de témoignages de chrétiens rencontrés au fil de son périple qui a compris 22 pays. Ce qui est récurrent, ce sont les prières, les craintes exprimées, mais aussi des appels à l’aide, notamment en Irak, en Egypte parfois. Et beaucoup de messages d’espérance. «Des icônes, des dessins ont demandé parfois des jours de travail, indique Vincent Gelot, joint au Liban où il réside actuellement. Je pense notamment à cette petite communauté clandestine d’Asie centrale, en Ouzbekistan, qui a travaillé plusieurs jours au stylo bic pour faire une fresque qui s’étale sur plusieurs pages et qui est absolument magnifique.»
A-t-il gardé contact avec certaines des personnes rencontrées? «Je suis retourné à fin 2014 au Kurdistan irakien. Ces communautés chassées de Mossoul et de la plaine de Ninive par Daech m’avaient accueilli plus tôt avec ma 4L. J’ai retrouvé certains de leurs membres dans des camps à Erbil, comme le Père dominicain Michaël Najeeb de Qaraqosh. Mon voyage est devenu un engagement aux côtés de ces communautés chrétiennes d’Orient puisque j’y habite et y travaille aujourd’hui pour L'Oeuvre d’Orient.»
Ce qui se passe actuellement en Orient est unique au regard de l’histoire, ajoute-t-il. «Prenez l’Irak: le nombre de chrétiens est passé de 1 million 500 mille à 250 mille en l’espace d’à peine 15 ans! C’est énorme et c’est pour cela qu’on parle de génocide des chrétiens d’Orient. Il y a plusieurs façons d’éradiquer un peuple. Soit vous l’exterminez comme c’est le cas des Yézidis par exemple, soit vous l’étouffez, vous l’empêchez de vivre, d’avoir des droits. Il y a aujourd’hui dans cette région du monde un enjeu civilisationnel qui concerne aussi l’Occident, qui y a ses racines. Et l’Orient sans les chrétiens, ce n’est plus l’Orient. Leur départ est une grande perte pour le résidu des communautés encore sur place mais aussi pour les musulmans, car les chrétiens apportent beaucoup de bonnes choses: ils sont une bouffée d’air en termes de liberté, de diversité, d’ouverture. C’est pourquoi j’essaie -à mon échelle- de les accompagner pour le meilleur et pour le pire.»
En bonus, pour les oreilles
Accompagnez Gabrielle Desarzens dans sa visite de l'exposition "Chrétiens d'Orient, 2000 ans d'histoire" en cliquant ici. Reportage radio diffusé par l'émission Hautes Fréquences (RTS), le 19 novembre 2007.